« Heleyna est morte. Adrian l'a tuée. Je suis désolé. »

Des jambes qui ne tiennent plus. Un corps qui s’effondre. On aurait dis la fin du monde, on aurait dit ma fin du monde. Ce soir là en lisant ces mots. En parcourant ses mots, je me rendis compte à quel point ma vie n’avait été que mensonge. A quel point mes nuits avaient été futiles. Inutiles. J’ai passé 16 années d’insouciance avant de me réveiller un beau matin. Plus seule que jamais. Pourtant la solitude, ça me connaissait, ça m’avait toujours connu. Comme quoi, même quand on est tombé très bas, il peut toujours y avoir pire. Toujours.

Je vais écrire mon histoire. Lier les mots, les idées, ça m'aidera peut-être à y déceler un sens. Je vais l'écrire pour moi mais aussi, et surtout, pour eux. Boire, écrire et mourir. Sans illusion, sans espoir. Sans rien ni personne à qui me raccrocher.

Mes premiers souvenirs remontent à l’âge de 4 ans, peut-être 3 en fait. Mais qu’importe. Mon premier souvenir est celui de mon départ de cet orphelinat de fou. Ou plutôt je voudrai me convaincre qu’il est le premier, et qu’aucun des moments passés avant ne m’est resté en mémoire, qu’aucun d’entre eux ne compte. Et pourtant. J’avais beau être haute comme trois pommes à l’époque, ça ne m’a pas empêchée de ne pas oublier, de ne rien oublier.

Née à Varsovie, je n’ai jamais connu mes parents biologiques, ces derniers m’ayant déposée sur les marches de mon futur lieu de torture dès mes premiers jours de vie. Bien qu’y étant seulement resté durant quatre années, cette période marquait bien le début majestueux de ma vie future. Si les années qui allaient suivre se ressemblaient, je n’étais pas prête à vivre. Oh ça non. Une seule employée pour des dizaines et des dizaines d’enfants abandonnés. Des dizaines d’âmes perdues ayant besoin de soutien. J’en faisais partie. Je m’en souviens très bien. Mon corps n’a d’ailleurs pas oublié les coups, seul moyen pour madame Zbikowski de se faire respecter, se faire écouter. Nous y passions tous. Pour tout et n’importe quoi. Une parole déplacée, un regard de travers et le fouet claquait, résonnait dans l’immense salle commune, comme au temps des dictatures nous étions tous tenus d’y participer, de regarder ces moments. Et bien que la plupart d’entre nous étions trop jeunes pour comprendre. Je suis sûre que tout comme moi, bon nombre de mes camarades n’ont pas oublié.

Les coups. Les blessures. Le sang. Et puis, enfin, la délivrance. La veille de mes 5 ans, un couple vint visiter l’orphelinat, bien entendu cette visite était prévue, nous étions donc tous prêts et présentables lorsque le couple passa les portes de l’établissement. Qu’importe notre âge, nous priions tous pour être celui ou celle qui aurait la chance de quitter ce lieu de malheur pour pouvoir enfin intégrer une famille saine et aimante. Ce jour là, ce fut moi qui fut choisie. Et je me souviens encore du sourire qui illuminait mon visage lorsque j’ai passé les portes pour la toute dernière fois. J’avais tout juste 5 ans, et pourtant, ce souvenir est intact dans ma mémoire. Jamais je n’oublierai. Comment oublier de toute façon ?

A partir de ce jour là ma vie changea entièrement. Si la famille dans laquelle j’avais atterrit n’était pas forcément la famille idéale, elle s’occupait bien de moi. Fini les coups, fini les peurs, tout ça s’était envolé. Et je me plaisais à espérer que tout ceci ne reviendrai jamais. Jamais jamais jamais jamais .. Je grandis normalement, essayant tant bien que mal de dissimuler les séquelles que les coups m’avaient laissé. Mais c’était difficile. J’avais peur de tout et de rien. Je m’effrayais au moindre geste brusque, mais au fil du temps j’appris à me contrôler à défaut d’éradiquer mes appréhensions.

J’avais dix-sept ans lorsque ma vie reprit un tournant tragique. J’avais rencontré ce groupe de garçons si mystérieux que je n’avais pu m’empêcher d’aller les voir, ils me semblaient si au dessus de tout le monde qu’ils m’attiraient énormément. Si j’avais su dans quoi je me lançai à l’époque ..

Mystérieux parce que drogués. Attirants parce que dangereux. Très vite j’entrai dans leur cercle. Ils ne voulaient rien savoir de moi ce qui me convenait. Je fumai mon premier pet un mois plus tard. Je touchai à l’héroïne, moins de six mois après. Très vite, je m’amourachai du chef de la bande. Je connus ma première fois avec lui, première fois pas entièrement désirée d’ailleurs .. Mais j’étais bien avec eux, j’avais l’impression d’oublier tous les moments difficiles de mon enfance, et pourtant, en agissant ainsi je m’engouffrai dans un gouffre hyper profond. Mais j’en étais inconsciente à l’époque.

La veille de mes dix-huit ans on intégra une nouvelle demoiselle à la troupe, Heleyna. Seule fille parmi tous ces mecs, je la pris rapidement sous mon aile et me liai d’une amitié incommensurable avec cette dernière très vite. Trop vite peut-être. J’avais une confiance énorme en elle. Je la perdis un jour de juin lorsque je la retrouvai dans le même lit que mon petit ami, lui hurlant que je ne voulais plus jamais entendre parler d’elle. Ce fus le cas. Jusqu’à ce qu’un ami m’apprenne qu’elle n’était plus.

Il l’avait assassinée ce salaud ! J’avais quitté mon petit ami suite à cette aventure et lui avait tué sa maîtresse. Ma meilleure amie .. Elle n’était pas aussi dépravée que moi, elle n’avait même pas touché aux drogues dures, j’étais sûre que contrairement à moi elle aurai un avenir. Mais non. Voilà que plus le temps avançait, plus les heures sans elles se succédaient. Et ça faisait mal. Horriblement mal. A chaque pas j’avais l’impression qu’un morceau de mon cœur partait la rejoindre.

Je pris ma décision fin juillet, j’étais un beau déchet à l’époque, plus rien ne comptait. J’avais quitté la maison sans dire un mot et dans le quartier les avis de recherche se succédaient, mais je m’en fichais. Oh oui, je n’en avais rien à faire. Heleyna était morte. Plus rien ne comptait. Ce que je fis ce soir là ne sortira jamais de ma mémoire. Aucun détail, rien ne disparaîtra. Comme pour le reste, sauf que cette fois, je ne veux pas oublier.

Je me revois encore passer la porte de son appartement, un couteau caché au fond de mon sac. La colère avait empiété sur tous les autres sentiments que j’aurai pu ressentir. Il n’y avait plus que ça. Colère et haine. Colère et peine. J’allais le faire souffrir comme Heleyna avait souffert. Il n’y avait pas de raison pour qu’il ne paye pas n’est-ce pas ?

Ce que j'ai fais ce soir là je ne l'oublierai jamais. Certaines nuits je revois encore le sang sur mes doigts, la peur dans son regard. J'ai assassiné cet homme de sang froid. J'ai pris un malin plaisir à le faire souffrir tout comme il avait fait souffrir ma meilleure amie, est-ce que cela fait de moi une mauvaise personne ? Peut-être. Mais sachez que je suis la première à dire que je ne suis pas quelqu'un de bien. Sous mes airs angéliques se cachent une diablesse prête à tout pour survivre dans la jungle du monde.

J'ai débarqué à Cambridge depuis 3 mois, fais des photos et utilise mon physique pour vivre, pendant que je fais mon entrée à Harvard, je me joue des hommes, je me joue des femmes, je me joue de moi-même. Quand je vous disais que je ne suis pas quelqu'un de bien ..