La voyez-vous ? La voyez-vous cette demoiselle assise près des falaises ? Cette jeune blonde aux cheveux en bataille, la voyez-vous ? Regardez son sourire, regardez l'étincelle dans ses yeux, regardez comme elle a l'air heureuse, épanouie. Vivante. Profitez de cette vision, parce que bientôt elle disparaitra, bientôt elle s'effacera pour laisser place à la réalité. Pour laisser place à la vie.

Cokaeen se lève et efface bien rapidement le sourire qui venait de naître sur son visage, ce dernier se ferma instantanément, ici, il valait mieux être fort, indifférent, parce que la moindre faiblesse pouvait vous mener au fond du trou, le moindre faux pas signifierai votre perte. Nous le savions tous, ici, paumés dans cette ville, il ne fallait rien laisser paraître. Alors je ne laissais rien paraître. Le soleil se couche au loin et il sera bientôt temps pour moi de rejoindre les autres. Un dernier soupir, je me mets en marche, sur le chemin du retour ma vie d'avant me revient rapidement en mémoire.

Je ne me suis pas toujours appelée Cokaeen, quelle sorte de parents prénommeraient leur fille ainsi de toute façon ? , quand je suis venue au monde, je me prénommais Caroline. Je n'ai jamais connu mon père, ce dernier avait quitté ma mère depuis bien longtemps lorsque je suis née, je n'ai jamais éprouvé le besoin de le connaître, ou de poser des questions à son sujet à ma mère, il était parti, il ne me désirait pas, c'était tout ce que j'avais besoin de savoir à son propos. Vivre sans père, cela peut paraître difficile pour certains, mais je ne crois pas que cette absence de présence masculine dans notre foyer m'aura beaucoup affectée, je n'avais guère le temps de me préoccuper de ce sujet à vrai dire. Il est vrai que vivre avec une mère droguée et alcoolique ça forge le caractère, et ça dès le plus jeune âge. J'ai rapidement du prendre de nombreuses responsabilités à la maison, et dans mes plus lointains souvenirs je m'occupais déjà du linge et du ménage alors que j'avais à peine 7 ans. Ma mère ne faisait pas grand chose, elle partait travailler chez nos voisins tôt le matin, me ramenait de quoi manger à midi et repartait aussitôt pour ne revenir que tard le soir, j'ai appris qu'elle était bonne à tout faire lorsque j'eus 9 ans, lorsque j'ai du prendre sa relève une fois qu'elle était devenue si dépendante à ses produits qu'il lui était devenu impossible d'aller travailler tous les jours. Je me rendais en douce chez nos voisins très tôt, effectuant les tâches que ma mère avaient faites avant moi, puis je me rendais en cours. A la fin de la journée, je retournais achever le ménage du jour, et puis je rentrai chez moi, recommençant ces mêmes gestes que j'avais déjà effectués quelques heures, quelques minutes, auparavant.

Je m'étais toujours dis que tant d'excès allaient la mener à sa perte un jour. Je n'avais pas tout à fait tord. J'avais 14 ans lorsque le cancer du poumon de ma mère fut diagnostiqué. C'est à cette époque que j'ai définitivement quitté l'école et que j'ai commencé à travailler à plein temps chez nos voisins. Ma mère était clouée au lit chaque jour, et je me devais de prendre sa relève. Elle décèdera à peine deux mois plus tard. Le deuil fut très certainement la pire période de ma vie, aujourd'hui encore je me réveille souvent pleine de sueur, hurlant à ma mère de ne pas me laisser. Elle me manque. Elle n'a pas toujours été une bonne mère, certes, mais elle me manque. Beaucoup.

Pendant sa maladie, je m'étais efforcée de ne rien laisser paraître aux yeux des autres, je n'avais nulle envie que les services sociaux viennent me placer dans un foyer, aucune. Et j'avais plutôt bien réussit mon coup, mais à présent que ma mère était morte, l'affaire risquait fort de se corser. C'est pourquoi à l'aube du troisième jour sans elle, j'avais ressemblé mes maigres affaires et j'étais partie, prenant soin de laisser le moins de choses derrière moi. J'ai vécu çà et là pendant deux nouvelles années, travaillant chez les gens, dans des restaurants miteux, jusqu'au jour ou un homme étrange m'approcha, me proposa un logement que je m'étais empressée d'accepter. Ce fut là ma plus grande erreur.

Le lendemain je me retrouvais dans la rue à dealer contre mon gré, mais bien rapidement cet argent facile me monta à la tête et alors que j'aurai très bien pu m'en sortir sans l'argent que la drogue me procurait je n'ai jamais quitté ce milieu, j'étais devenue dealeuse, j'avais ma propre clientèle, mon propre réseau et j'en étais fière, pour une fois j'avais réussi à faire quelque chose par moi-même. C'est à cette époque que j'ai changé de prénom, troquant Caroline contre Cokaeen, je ne voulais pas que des gens ayant pu me connaître avant puissent faire le lien entre les deux personnes que j'étais. Contrairement aux apparences, je n'ai jamais consommé ce que je vendais, et ça malgré la tentation qui me brûlais les doigts chaque nouveau jour. J'avais rapidement compris ce que ces conneries pouvaient provoquer aux gens, j'avais vu les ravages de la drogue sur ma mère, sur mes clients, et je refusais de terminer comme eux, pas après tout le chemin que j'avais parcourus. Et puis j'avais ma propre drogue, mon propre échappatoire.

Ce type,celui qui m'a aidée en m'offrant un toit, ce type qui m'a fait entrer dans le monde de la drogue, et bien il m'a fait découvrir autre chose, un autre type de drogue, tout aussi addictif que l'autre, un type de drogue dont je ne pourrai me passer aujourd'hui, au contraire de l'autre. Cette drogue, c'est le sexe. Je me souviendrai toujours de la première fois qu'il m'a prise dans son appartement, il était défoncé, je l'avais tout de suite remarqué, et lorsqu'il avait posé ses yeux sur moi, j'avais d'abord eu peur, puis je m'étais laissée aller. Profitant de ces sensations nouvelles qu'il me faisait découvrir. On l'a refait souvent. À deux, à plusieurs. Chaque nouvelle expérience était différente, et bien vite il devint indispensable pour moi d'avoir ma dose de baise, c'était ça ma drogue.

Deux nouvelles années passèrent, ma vie prit alors un nouveau tournant. Le dealeur qui m'avait accueillie se retrouva en taule. Les choses allaient devenir compliquée pour moi si je restais, alors je me suis barrée, une nouvelle fois. J'ai vécu dans la rue pendant près de 6 mois, continuant tant bien que mal mon petit business pour ne pas mourir de faim ou de froid. Et puis c'est là que ma vie a dérapé une nouvelle fois. Un matin une dame d'une quarantaine d'années me tendit la main, elle me proposait un toit, un logement, en échange de quelques petits services, ménage, cuisine .. J'étais capable de faire tout ça, je l'avais déjà fait, et je n'en pouvais plus de la rue, je m'étais empressée d'accepter. Mais j'avais bien vite déchanté.

Deux semaines plus tard seulement, alors que je rentrais d'une courte balade je trouvais la police sur le pas de la porte, ma bienfaitrice m'accusais de vol, je le compris en écoutant leur conversation, je pris alors une décision, faisant demi-tour et me jurant de ne plus jamais remettre les pieds à Los Angeles, cette ville dans laquelle j'étais pourtant née. À l'aide de mes pauvres économies je me procurais un aller sans retour pour une autre ville. Cambridge. Voilà deux semaines que j'ai débarqué. Grâce à un ami new-yorkais, j'ai pu réorganiser un petit réseau ici afin de subvenir à mes besoins, cela ne fait qu'un deux semaines que j'ai débarqué ici, mais déjà je m'y sens bien, en fait, c'est comme si j'appartenais à cette ville depuis toujours.
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