« Flynn McBeth, petit-fils de l’aristocrate Henry McBeth ? » « Exact mais je doute que nous soyons ici pour parler de mon arbre généalogique, si ? ». Il s’excusa aussitôt auprès de la jeune femme et s’extirpa de la foule qui emplissait cette grande salle de bal londonienne. Un gala de charité, un énième, une soirée riche en hypocrisie et badinage haute sphère. Le summum du ‘ m’as-tu vu ‘ version Chanel, Dior et Lacroix. Il portait un Armani, qu’elle injure. « Flynn, viens par là mon vieux, j’vais te présenter quelqu’un », d’un mouvement de tête il fit comprendre à son meilleur ami qu’il ne comptait pas faire une rencontre de plus et se laissa porter jusqu’à la terrasse. Jolie Alcôve, songea-t-il lorsque ces yeux se posèrent sur les dorures des fenêtres. Peut-être qu’il ne s’agissait pas d’une alcôve, pire, il s’en fichait. « Flynn McBeth » « Petit-fils de Henry McBeth, oui. » « C’est qui ce Henry ? Non , moi j’bosse pour le traiteur , j’ai juste trouvé vot’ portefeuille » il avait piqué un fard et sourit, la jeune demoiselle qui lui tendait ses effets était plutôt agréable à regarder, en mettant de côté un langage peu courtois. « Vous attendez quoi pour le prendre ? J’ai l’bras qui fatigue ».

Il venait de faire la connaissance de celle qui allait devenir sa petite amie. Pendant deux ans. Deux ans, trois cent soixante-cinq jours multipliés par deux, des centaines de milliers de minutes, des milliards de secondes passées en sa compagnie. Il l’avait choyé, protégé, aidé à devenir quelqu’un. Pas seulement à se faire une place dans son monde mais aussi dans son cœur. Quelque part où il n’avait jamais laissé quiconque pénétrer, elle l’avait floué, racketté, foutu en l’air : en baisant avec son meilleur ami.C'était un test, elle avait échoué, lamentablement.

« On m’a parlé du Fiasco, Flynn » Ce dernier leva aussitôt les yeux au ciel. Son grand-père avait toujours une longueur d’avance, ce qui lui donnait parfois l’impression que ce vieillard possédait des dons surnaturels. Il serra la mâchoire, préparant son être à subir les reproches incessants qui s’abattaient sur lui constamment, à chaque fois qu’il se trouvait en compagnie du sénior. Des reproches déguisés en conseils avisés, des paroles épineuses sous les traits du plus fin des velours. Dans ces moments, il se sentait détestable, stupide et en dessous de tout. Exactement comme on n’aurait pas voulu qu’il soit : une franche déception. « Cette jeune fille n’était pas faite pour toi, fiston » Fiston ? Bien familière, l’expression. « Et Oxford ? Comment se passent tes études ? » « Fort bien. » « Mais encore ? Comptes-tu poursuivre l’idée saugrenue de devenir professeur de littérature ? » « De littérature anglaise » rectifia-t-il, poursuivant aussitôt : « Oui, je ne tiens pas à en parler, je connais déjà votre position à ce sujet » « La société… » « Je suis au courant mais ce ne sont pas les petits fils qui manquent ! » « Certes mais homme de lettre … » « Ne dit-on pas qu’il faut de tout pour faire un monde ? ». Il reporta son attention sur l’horizon, le brunch « battait son plein » et il ne souhaitait guère poursuivre une conversation stérile. Les avis étaient divergeants et résoluments butés.

Un an auparavant, Monsieur McBeth débarquait à la faculté de Cambridges, USA. Fraichement diplômé, complétement débutant, il écrivit pour la toute première fois son nom, à la craie, sur le noir du tableau. Un peu « old school » pensèrent certains étudiants, habitués à la prise de note. Un peu de circonstance, pensa-t-il, dépassé par la surcharge de travail qu’il avait eu depuis la matinée. Lorsque l’heure de la pause déjeuner arriva, il prit ses effets et se dirigea vers le campus, fasciné par les mouvements de va et viens incessants des étudiants, les siens. Une satisfaction sans mesure s’éprit de lui. Son regard fut happé par une silhouette, assise, seule. Les traits tirés par la fatigue, le visage tuméfié, la demoiselle semblait entre deux mondes : celui des vivants, celui des morts. Une envie le prit, soudainement. Aller à sa rencontre, jouer de son humour british et faire apparaitre un sourire sur son visage : trop tard, un jeune homme l’avait rejoint. Un autre jour, peut-être. Déjà, commençait à germer dans son esprit une interrogation : quel est son nom ?


« Je vous prie de m’excuser, je n’avais vraiment pas l’intention de vous bousculer de la sorte » Déjà qu’il commençait à se confondre, pauvre Flynn, dès qu’il avait une obsession tout de suite cela virait à la maladresse. Il l’avait bousculé, deux fois de suite en une semaine, cela n’avait rien à voir avec une double coïncidence. Non, il l’avait vu, approché. I’m wanna love you. « Je suis confus… » Faux, assez exalté pour dire vrai. « Vous êtes une de mes élèves ? » Absolument pas, mais il s’était raccroché à la seule chose qui aurait pu établir le contact. Elle avait hoché la tête, le regard attiré par un grand brun. La place est déjà prise, songea-t-il, you already know.

«Bouges ton derche Flynn et déclare-lui ta flamme : tu n’es plus un adolescent. Une de perdue… » « Une de perdue, exactement ». Son amie devait bien se rendre à l’évidence, il n’enchainait pas les conquêtes. Il était d’un orgueil sans pareil, il se méfiait. Aucune fille ne méritait son amour, aucune hormis elle. « Qu’en dit Terence ? » « La même chose que toi, en plus salace, bien sûr » « C’est le contraire qui m’aurait étonné. La vache Flynn , tu viens de dire que Terence est d’accord avec moi ? » « Plus ou moins, oui » « On est le combien aujourd’hui ? Faudrait que je pense à mettre une croix dans l’calendrier ! » « Sois pas si mauvaise avec lui, il fait des efforts pour t’apprécier, fais-en de même » « Et évidement, tu le défends ! » « C’est mon meilleur ami » « Et moi j’suis quoi au juste ? » Exactement : qu’est-ce qu’elle représentait pour lui ? Une ex, son premier amour, une amie. Une sœur ? Non, il y avait toujours cette complicité ambiguë entre eux. Vous savez, de celle qui pousse le monde à croire que vous formez un couple. « Tu es importante », il ne voulait ni blesser, ni la pousser à se faire des idées quant à la nature de leur lien. Il avait déjà quelqu’un en tête, depuis plus d’une année. Cela commençait à lui peser d’autant plus qu’il lui arrivait souvent de la croiser au détour d’un couloir.

« Fyfy » « Quoi ? » « C’est laquelle ? » « Laquelle ? » « Tu sais bien, elle doit bien être quelque part…je dirais, au vu des regards béats que tu jettes du côté gauche…la brunette ou la blondinette qui discutent dans le coin, non ? » « De toute façon, si je tiens à mon job : je ne ferais rien » « Et, t’y tiens à ton job ? » « Relativement » « Pas autant que tu tiens déjà à elle ? » Elle avait beau sourire, rire, il y avait un soupçon de tristesse dans ses yeux habituellement rieurs. Il se surprit à imaginer l’avenir aux côtés d’une autre. C’était égoïste mais c'était ce qu’il ressentait. Tombé sous le joug d'une totale inconnue dont le nom lui échappait.

« Pearl, attends ! » Un sourire se dessina sur ses lèvres, son cœur battant à tout rompre. Il le connaissait enfin, ce prénom qu’il avait tant de fois imaginé. Il lui allait à ravir. Elle avait la beauté et l’apparence douce et rayonnante d’une perle. Une perle qui lui parut rare et inaccessible. Pearl, douce Pearl, j'irais te quérir jusqu'au bout du monde. Je plongerais dans les abysses, à la recherche de ton bonheur et je viendrais , à pas feutré, le déposer au creux de tes mains si seulement tu me le demandais.