Guitare en main, jouant une de ses pièces favorites, Raphaël se remémorait doucement ses souvenirs. Des souvenirs amers, doux, violents, durs. Chaque être humain avait son propre lot de souvenirs. Certains en avaient de plus beaux que d'autres, mais tous et toutes en avaient d'inoubliables. Puisque ce sont ces moments inoubliables, positivement ou négativement, qui font de chaque être humain ce qu'ils sont. Son premier souvenir remontait à l'enfance, lorsque tout débuta.

Assis en plein coeur de son salon, concentré sur ses jouets, le jeune Peerson n'entendit pas son père rentrer du travail. Son père était ou ouvrier fauché qui ne pouvait rien apporter à sa famille et sa mère avait lâché la musique pour s'occuper de son fils. Les seuls moments où elle se replongeait dans sa passion, c'était lorsqu'elle apprenait à son petit garçon le piano. Trop jeune pour la guitare, ils se contentaient pour l'instant d'améliorer le talent déjà grandissant de Raphaël au piano. Mais lorsque son père rentra ce soir là, sa mère était occupée à se rouler en boule dans son lit, pleurant toutes les larmes de son corps. Raphaël ne comprenait pas pourquoi, mais son père lui avait souvent dit que lorsque sa mère agissait ainsi, il devait la laisser tranquille et aller jouer ailleurs. Il avait sept ans. Comment pouvait-il comprendre le pourquoi il devait laisser sa mère souffrir ? Parfois, sans pouvoir se retenir, le jeune homme allait se jeter dans les bras de sa mère... et ça l'a réconfortait. Mais cette fois-ci, il était resté au salon. Lorsque son père découvrit sa mère en larmes dans leur chambre, il réagit exactement comme à son habitude. L'homme ignora sa propre femme et lâcha quelques jurons exaspérés face à l'état de sa propre femme. Et sans pouvoir se retenir, le petit Raphaël-Soan lui demanda pourquoi il n'aidait pas sa maman, pourquoi il l'a laissait souffrir ? La seule réponse de l'homme qui devait être son modèle fut une gifle magistrale. La première. Le premier coup que cet homme donna à son enfant. Mais bien d'autres allaient suivre, ce n'était qu'un début, contrairement à ce que Raphaël pensa ce soir là.

Fermant les yeux brusquement, le jeune homme tenta d'ignorer la douleur que lui donnait ce souvenir. Puisque si ce souvenir était douloureux, les suivants seraient bien pire.

Douze ans. Sa famille toujours aussi pauvre, en plein coeur de Los Angeles, Raphaël tentait de se trouver un petit travail pour aider ses parents. En vain. Trop jeune, trop faible, trop si, trop ça. Alors il se contentait de jouer de la guitare dans les rues de la grande ville, récoltant toujours quelques dollars, parfois même beaucoup plus. De par son talent et son état, les gens étaient bien plus souvent touchés et triste qu'autre chose, en voyant le petit garçon jouer en pleine rue, assis, ses vêtements déchirés et semblant aussi sale qu'un sans-abri. Ce soir là, lorsqu'il ramena l'argent à son père, l'homme ne se gêna pas pour frapper son fils à plusieurs reprises. Ce n'étaient plus des gifles depuis les années, mais bien des coups. Il reprochait à son fils de ne pas amener assez, de ne pas faire assez d'effort, d'en avoir rien à faire de leur famille et de leur état. Ce soir là, il se réfugia dans les bras de sa mère, qui pleurait encore. Âgé de douze ans, on l'avait trouvé assez mature pour lui expliquer que sa mère se trouvait dans l'emprise d'une dépression nerveuse extrêmement violente, ce qui lui causait toutes ces sautes d'humeurs et cet état malheureux. Mais il ne comprenait toujours pas. Était-ce leur pauvreté ? Était-ce son père qui l'a mettait dans un tel état ? Après tout, il avait peut-être déjà été violent avec elle. Certainement même. S'il l'était avec lui, pourquoi pas avec elle ? Cette pensée le dégoûta et le révulsa un peu plus, si c'était possible, de son père.

Lorsqu'il se plongea dans son adolescence, cela ne fit qu'empirer. Coups sur coups, déceptions sur déceptions, dégoût sur dégoût. Sa mère s'enfonçait dans sa dépression et son père dans sa violence. Raphaël se plongea dans la drogue, pour oublier ses problèmes, pour oublier sa vie. Il traînait dans les rues, il fuguait, il volait. Il dormit de nombreuses nuits au poste, mais chaque fois, il était libérer, faisant même pitié aux policiers. Il en devint dégoûté de lui-même. Glissant ses doigts sur les cordes de sa guitare, il ferma de nouveau les yeux, laissant échapper une larme. Froid, violent et renfermé, voilà le jeune homme qu'il devint. Un jeune homme blessé par son père, détruit, un jeune homme de la rue. Il se battait, il baisait. Dix-sept ans et déjà criminel. Qu'allait-il devenir ? Exactement comme ces grands dealeurs de drogues dégoûtants qui finissent en prison et sans vie ? Accompagné de sa guitare, on le surnommait le Musicien Malheureux dans les rues de Los Angeles. D'ailleurs, ce fut certainement grâce à son talent inoubliable qu'il s'en sortit.

Alors que Raphaël jouait pour une énième fois sur la rue la plus populaire de Los Angeles, le jour de ses dix-sept ans, un homme particulièrement classe s'arrêta devant lui, le laissant terminer la pièce qu'il jouait. Cet homme lui demanda s'il connaissait d'autres instruments. Sans hésiter, le souvenir amer de sa mère dans son esprit, il répondit qu'il jouait parfaitement bien du piano. Cet homme en question se nommait Jean-François, un françait venu s'installer aux États-Unis, vingt-ans plutôt. Il avait ouvert un grand restaurant, dix ans plutôt, et se cherchait à présent un pianiste qui pouvait jouer tous les soirs, pour divertir les clients. Un pianiste doué. Un pianiste qui aurait un grand salaire. Jean-François prit alors le jeune homme sous son aile, le guidant à son restaurant. Ce jour là datait sa première année complète dans la rue. Raphaël avait fugué de la maison, après avoir été grièvement blessé par son propre père, à l'aide d'un couteau. Il s'était toujours sentit coupable d'avoir laissé sa mère derrière lui, mais il ne pouvait plus en endurer d'avantage. Et cet homme lui donnait une nouvelle chance de vivre. Ce soir là, il joua toute la soirée ses pièces favorites, dont l'une qu'il avait écrite lui-même. Jean-François lui offrit un appartement et Raphaël se remit à écrire des pièces au piano dès ce soir là. Un nouvel espoir, alors que l'obscurité avait prit le devant de sa vie. Il arrêta les vols, mais le sexe et la drogue restèrent toujours présents dans sa vie...

Après ce miracle, le jeune homme travailla trois ans durant. Il écrit de nombreuses pièces, il accumula une richesse énorme. Jean-François lui avait bien promit un salaire faramineux. Il avait respecté toutes ses promesses. Il l'avait sauvé. Peerson ne pouvait que le remercier et l'adorer. Il était devenu son mentor, en plus de son sauveur. Lorsqu'il eut économisé assez d'argent pour se considérer vraiment comme riche, il dit au revoir à son mentor, sans manquer de verser quelques larmes et il partit. Il voyagea en Europe longtemps. France, Angleterre, Russie, Allemagne, Italie. Il voulait découvrir le monde, découvrir de la nouvelle musique. Il apprit de nombreux nouveaux instruments durant ses voyages et lorsqu'il revint, le jeune homme décida de s'éloigner de Los Angeles. Il partit à Cambridge, s'inscrire à Harvard, pour recommencer sa vie à zéro. Musicien froid, renfermé, msytérieux, détruit par son passé, allergique aux sentiments, amoureux de la drogue, de l'alcool, des plaisirs de la chair. Voilà ce qu'il est devenu. Incapable de se confier et de montrer ses sentiments, mais il vit sa vie au jour le jour et c'est ce qui est pour lui le presque bonheur, puisqu'il sait très bien qu'il ne pourra jamais être totalement heureux.

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