Clac. Clac. Clac. Un pas. Deux. Puis trois. Je m’avance. Des pas hésitants, difficiles. La scène pourrait être troublante pour n’importe qui. Et pourtant, elle n’a rien d’anormal à mes yeux. Cette canne qui me soutient est devenue un accessoire indispensable à ma vie beaucoup plus rapidement que j’aurai pu l’espérer. Beaucoup trop rapidement en fait. Mais pour comprendre il faut revenir plusieurs mois en arrière.
Tout a commencé il y a près d’un an..
When I saw you I fell in love. & You smiled because you knew.
Je cours. Je cours à en perdre haleine. Je cours à en cracher mes poumons. Je cours. Longtemps. Inlassablement. Je ne m’arrête pas. Jamais. Mettre fin à cette course signifierai que j’ai perdu. Je refuse de perdre. Alors je cours. Sans cesse. J’entends des pas derrière moi. Ils sont là, je le sais. Eux non plus ne lâcheront pas. C’est pour ça que je ne dois pas m’arrêter. Jamais. Je dois fuir cette vie, cette famille, je ne peux plus rester ici, plus dans ces conditions, je n’en peux plus, je craque. Mes genoux se dérobent,
je tombe. Non. Des bras me retiennent. Je relève les yeux. Mouvement de panique, je ne connais pas cet homme. Il est avec eux, j’en suis sûre. Je suis perdue. Mais son sourire se veut rassurant. A quoi bon lutter de toute façon ? C’est terminé.
J’ai perdu..
Je reprends conscience dans un lieu qui m’est inconnu. Je panique. J’essaye de bouger mais des liens enserrent mes poignets et mes chevilles. Conneries. S’ils pensent qu’ils auront ce qu’ils veulent avec leurs pauvres tentatives d’intimidations .. Ils peuvent toujours courir tiens ! Depuis combien de temps suis-je ici ? J’ai mal partout. La pièce dans laquelle je suis retenue est sombre, je n’y vois quasiment rien. Pas de fenêtre. Evidemment. J’entends du bruit pas loin de ce qui me semble être une porte.
Ils arrivent.
« Je pensais que tu serais plus coriace, t’attraper a été beaucoup plus simple que prévu. » Ce n’est pas l’homme qui m’a attrapée, et je ne sais pas si je dois m’en sentir soulagée ou non. L’homme fait deux pas vers moi. Il est grand. Chauve aussi. Pas très imposant pourtant. Mais qu’importe. Je ne sortirai pas d’ici vivante. Ces informations ne me serviront pas, alors je me contente de lui jeter un regard assassin.
« Voyons Cézanne, tu pourrais montrer un peu plus de joie de vivre, tu fais là une bien piètre invitée. » Si ma gorge n’avait pas été aussi sèche j’aurai éclaté de rire.
Une invitée. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre. L’homme s’approche encore et encore. Il est près. Trop près. Il finit par se pencher lentement vers moi et me souffle quelques mots à l’oreille.
« Tu as de la chance, ce n’est pas moi qui m’occuperait de toi, j’ai d’autres affaires plus .. intéressantes en cours. » Suite à cela il se redresse rapidement et me laisse seule à nouveau. Une fois seule, je laisse un soupir m’échapper. Pour une première entrevue je m’attendais à pire, à bien pire ..
Les jours passent, se ressemblent et me lassent. Pour des assassins ces hommes me semblent plutôt inoffensifs, Père a sûrement exagéré la chose lorsqu’il me parlait d’eux. Ou peut-être pas tiens. L’homme chauve vient de faire sa réapparition. Un rictus terrifiant collé sur le visage. Finalement, je crois que je préférai la monotonie.
« Alors comme ça tu veux jouer à la petite fille muette ? Je vais te faire retrouver ta voix moi. » La lueur dans son regard se fait plus sombre, et je sens mon cœur s’emballer dans ma poitrine. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça du tout. Il défit rapidement mes liens, ses gestes étaient un peu distraits, l’excitation sûrement. Je profitai d’une seconde d’inattention pour tenter de lui échapper, mais je n’avais pas encore atteint la porte que sa poigne de fer se saisit de mon bras, le regard qu’il me jeta me fit comprendre que je n’aurai jamais dû tenter ça, jamais.
« Tu veux jouer ma jolie ? Et bien jouons ! » Il m’entraîna rapidement vers le fond de la salle, enfermant mes poignets dans des fers suspendus au mur, on se serait cru dans une scène de film,
le moment où la jolie héroïne de l’histoire parvient à s’échapper avant de subir les pires tortures, mais j’ai beau me débattre, m’entailler les poignets à force d’essayer de me libérer, rien n’y fait. Je n’échapperai pas à mon sort. Je retiens un gémissement de douleur lorsque sa main vient s’abattre sur mon visage une première fois, puis sur mon corps, deux trois, trois fois.
Cinq. Dix. Vingt. Cinquante. Je ne sais plus, j’ai perdu le fil je crois. J’aimerai que cela cesse, qu’il arrête .. Je subis sans broncher, gardant toute ma douleur à l’intérieur. Il veut m’entendre ? Qu’il aille se brosser !
Les coups s’arrêtent soudainement, un mince espoir m’envahit, peut-être s’est-il lassé pour ce soir .. Mais le sourire carnassier qu’il m’adresse me prouve le contraire.
« Mademoiselle est résistante hein ? Il est temps de passer aux choses sérieuses alors. » Soudain, la peur s’empare de moi. Je me mets à trembler, redoutant les prochaines minutes, voire les prochaines heures, ne sachant pas à quoi m’attendre. C’est lorsque les boutons de mon chemisier sautèrent que je compris ce qui allait m’arriver.
Je crois que j’aurai préféré mourir ..
Some people are meant to fall in love with each other, but not meant to be together.
Cette routine eut lieu pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. J’avais perdu le compte bien rapidement. Des coups, puis des viols. Encore, encore et encore. J’avais l’impression que cela ne cessait jamais. Que les jours s’enchaînaient bien trop vite, que les séances étaient trop rapprochées, bien trop. Et puis, arriva le jour où mon corps dit
stop. Ou je ne pouvais plus supporter ces tortures sans broncher, ce jour où, il réapparut dans ma vie. Je hurlai à m’en déchirer les cordes vocales, laissant toute ma souffrance s’échapper lorsque l’homme qui m’avait rattrapée entra dans la salle, m’adressant le même sourire rassurant que la première fois. Sauf que cette fois, je savais que c’était un piège.
Un putain de piège. Il resta là, dans un coin, à regarder la scène, à m’entendre hurler, et surtout, à ne rien faire.
L’homme chauve finit par s’en aller. Je me laissais alors tomber, mes poignets toujours retenus par ces conneries de chaînes accrochées au mur. Je ne sentais plus mon corps depuis longtemps, la douleur ayant pris le pas sur tout le reste. Mon être tout entier n’était que souffrance,
je n’étais plus que souffrance. C’est à ce moment-là qu’il s’approcha de moi. Lentement, comme s’il avait peur de me brusquer. Il se plaça face à moi, et murmura si bas que je cru l’avoir rêvé
« Je suis désolé, il ne te touchera plus, je te le promets. » Mais moi, je me souvenais de son
putain de sourire hypocrite, et je compris tout le contraire, je compris que les jours à venir seraient pire encore. Finalement, Père n’avait pas exagéré.
Le lendemain, j’étais prête à lâcher prise,
j’étais prête à mourir. J’avais fini par accepter mon sort. Mais le chauve ne se montra pas. Ni ce jour-là, ni ceux qui suivirent. La seule personne que je voyais lors de mes périodes de conscience était l’homme au sourire trompeur. J’avais l’impression qu’il prenait soin de moi. Mais j’étais tellement ailleurs que ça aussi, j’avais dû le rêver. Et puis, un jour mes bras furent libérés, et il me prit par la main, m’entraînant à sa suite. Nous avons courus dans les couloirs aussi vite que mes jambes affaiblies pouvaient le supporter. Et puis on est sortis de là. Le soleil a brûlé mes yeux tandis qu’il m’entraînait dans un petit immeuble non loin de là.
« Ici tu seras en sécurité, mais ne sort pas quand tu es seule, d’accord ? » J’avais vaguement hoché la tête, comprenant à peine ses paroles, ne réalisant pas ce qui venait de se passer. Il revint le lendemain, le visage tuméfié. Alors qu’il s’écroulait sur la chaise la plus proche j’étais tiraillée entre l’envie d’aller l’aider et celle de rester le plus loin possible de lui. Finalement, c’est la première solution qui fut la plus forte.
A partir de ce jour-là, notre relation évolua, passant de la méfiance à l’indifférence. De l’indifférence à l’affection, et puis de l’affection à .. à un sentiment un peu inexplicable, un peu inégalable. Nous n’avons jamais évoqué mon enfermement, de toute façon, j’étais incapable de parler plus de quelques secondes d’affilées. Je ne sortais toujours pas, la seule perspective de devoir mettre un pied dehors me provoquait des crises d’angoisse monstrueuses. Les semaines passèrent, et un jour, je cru être assez forte pour sortir, assez forte pour affronter le monde extérieur. Mais j’étais seule au studio, j’avais donc l’interdiction de mettre le pied dehors, sauf que je ne voulais pas passer à côté de cette chance, qui pouvait dire que ce sentiment serait toujours là lorsque l’homme reviendrait ? Non, il fallait que je le fasse. C’est ainsi que j’ai passé la porte. Que je suis sortie à l’air libre pour la première fois depuis trop longtemps. Mon repos fut de courte durée. A peine avais-je fais quelque pas sur la route, voulant traverser et aller admirer les vitrines de l’autre côté de la chaussée qu’un véhicule se dirigea droit sur moi. C’est là qu’il vint, avec son sourire rassurant.
Son putain de sourire. Il me poussa, me faisant tomber lourdement sur le sol pendant que son corps se faisait violemment percuter par la voiture. Encore trop faible, je ne me souviens de rien après ça. Tout ce que je sais, c’est que je me suis réveillée quelques jours plus tard dans un lit d’hôpital, Père était près de moi.
« C’est terminé ma chérie, tout est fini. » Et pour la première fois depuis des semaines, les larmes dévalèrent le long de mes joues.
Soulagement. J’étais enfin libre. Pour de bon.
Il y a toujours mille raisons pour s’enfermer. Sortir est beaucoup plus difficile.
L’homme qui m’a aidée est mort sur le coup lors de l’accident. Quant à moi. Mes jambes ont été paralysées quelques jours, mais avec la rééducation j’ai bien vite retrouvé des sensations dans mes jambes, aujourd’hui je peux à nouveau marcher, avec une canne certes, mais marcher quand même. J’ai été intégrée à Harvard. Merci Père ! Il fallait que je prenne un nouveau départ, assez loin de New-York pour oublier, mais tout en restant proche de mon père, Cambridge était donc la destination parfaite.
Il faut du temps pour se remettre d’une expérience pareille. Si on s’en remet un jour. Une chose est sûre. Après tout ça. Je n’ai plus jamais été la même. Avant, j’étais une gamine pleine aux As, fille unique d’un homme d’affaires reconnus et réputé un peu partout dans le monde. J’étais insouciante, rêveuse, j’avais 18 ans et toute la vie devant moi. Toujours entourée, j’avais des tas d’amis, jeune et jolie, j’avais toute la vie devant moi. Et puis j’ai été kidnappée. J’ai passé presque 5 mois enfermée. Je l’ai appris plus tard, en voyant la date sur un journal. Aujourd’hui je ne parle plus, ou presque, seuls quelques mots sortent parfois de ma bouche avant que je sombre à nouveau dans mon mutisme. Aujourd’hui, j’ai peur des Hommes, je ne laisse que très peu de personnes m’approcher. J’ai des crises d’angoisse horribles dès que je me retrouve coincée quelque part. J’ai terriblement peur de la foule, des espaces clos et des vieilles maisons.
Je suis détruite.
Mais je tiens bon.