« Croyez-vous au destin Monsieur Callahan ? » Si je crois au destin ? En voilà une question complètement idiote. Croire en la destinée serait comme croire en, j’sais pas moi, une entité capable de décider de l’avenir de milliards de personnes. Ahurissant non ? Bande d’abrutis, comme si c’était possible. J’suis sûr que si Dieu existe il a sûrement des préoccupations plus importantes et intéressantes que ça, non franchement, qui aurait envie de décider de la destinée de 7 milliards d’idiots ? Sérieux, l’autre type qui a créé les hommes, il doit passer plus de temps à se demander comment il pourrait faire pour se taper Eve plutôt que de se soucier de votre pauvre vie ne serait-ce que pendant deux secondes, croyez-moi. Le monde ne serait pas comme ça si ce n’était pas le cas. Le monde ne serait pas comme il est si ce n’était pas le cas. Mais si je ne crois pas au destin, je crois en ce que l’on appelle karma. Et le mien a été si mauvais que j’en ai perdu l’un de mes sens, peut-être le plus précieux à mes yeux. Je revois d’ailleurs chaque nuit, ce véritable cauchemar éveillé, ce supplice vécu il y a déjà trois années.

flashback.

De l’air. Je n’ai plus d’air. Mes poumons sont comprimés au fond de ma poitrine. Je suffoque. Mes jambes brûlent. Mon corps tout entier semble en feu. Mon corps tout entier est en feu. Il faut que je sorte d’ici, et vite. J’essaye de me lever mais mes jambes sont prises au piège, les minutes passent, mon corps s’engourdis. J’ai mal. J’ai mal et pourtant je ne ressens plus rien. C’est la fin. Je sombre.

présent.

Je me suis réveillé trois semaines plus tard dans une chambre d’un blanc immaculé. Une drôle de sensation dans le corps et dans le cœur. C’est quand, une infirmière pénétra dans ma chambre et qu’elle m’adressa la parole que je compris. Je n’entendais plus. Il venait donc de là le grand silence qui régnait autour de moi. Je n’entendais plus. J’étais sourd. Sourd. Mes yeux s’étaient fermés suite à cette révélation. Pendant vingt ans j’avais considéré la surdité comme étant un véritable handicap au sein de la société, et voilà que je faisais partie de ces délaissés de la vie, ces handicapés que l’on regardait étrangement dans la rue, que je regardais étrangement dans la rue. Ce jour-là, je n’avais pas encore compris à quel point ma vie allait changer.

Etre sourd à 20 ans seulement, ça change tout. Il faut s’adapter à sa nouvelle situation avec une rapidité hors du commun si l’on ne veut pas être délaissé par la société. J’ai eu la chance inouïe d’avoir une sœur très présente à mes côtés suite à cet affreux accident. Elle m’a beaucoup aidé, et je lui dois énormément .. En deux mois à peine, grâce à son aide, j’ai pu changer mes habitudes, j’ai pu m’adapter à ma surdité, j’ai pu apprendre à communiquer autrement, et surtout, j’ai appris à vivre dans le silence le plus profond et le plus agaçant que vous n’avez jamais connu.

Etre sourd à 20 ans, c’est devoir changer de vie. Pour moi, ça a été passer du coureur de jupon adulé par toutes au jeune homme calme et mystérieux. C’est changer de ville pour ne pas avoir à subir les regards des gens valides. C’est passer au-dessus de tout ce que je faisais subir aux autres auparavant. C’est faire abstraction des préjugés. Etre sourd à 20 ans, c’est un combat de tous les instants. Le combat de toute ma vie.

Cela fait trois ans que je vis dans le silence. Trois longues années de silence. Les débuts ont été si durs que j’ai cru ne jamais me relever, mais elle ne m’a pas laissé le choix. Elle a tout quitté pour venir vivre à Cambridge avec moi, pour ne pas que je sois seul dans ma nouvelle ville, elle, ma petite sœur. Elle est tout à mes yeux, tout. Elle est mon repère, mon soutien. Sans elle, je ne serai peut-être plus là aujourd’hui, ou en tout cas, je ne serai pas si à l’aise avec tout ça. Grâce à elle, je suis capable de communiquer quasiment normalement avec n’importe qui, tant que cette personne ne parle pas trop vite, et qu’elle se trouve face à moi. Grâce à elle, je suis en vie aujourd’hui, et pour ça, je ne la remercierai jamais assez.