Journal de Billie.

Billie Léo Leskov. Née à Moscou, origines russes et anglaises. A un jumeau. Séparés à l'âge de 12 ans, pour être placés en famille d'accueil, à cause d'une mère qui devenait alcoolique et violente. Pour ma part, placée en Angleterre. Pour mon frère, je n'en savais rien. Ce n'est que lorsque je suis arrivée dans la famille d'accueil que j'ai compris que je ne le reverrais pas. Pas tant que je n'aurais pas atteint la majorité, je ne pouvais rien faire sans l'accord de mes responsables légaux. C'était comme si j'avais changé de vie. J'étais passé d'une vie peu ordinaire, des journées qui ne se ressemblaient aucunement, une fois sur deux avec des cris, de la violence, des autres où c'était plus calme, à une vie où tout était parfait. Presque trop. Tout semblait cadré, tout le monde semblait beau. Malheureusement pour eux, ils ne pouvaient pas me faire avaler ça, j'avais vu la réalité pendant plus de 12 ans. La réalité que les gens semblaient vouloir balayer et remplacer par des mensonges, des chimères. La raison? Apparemment, on était plus heureux comme ça. Pendant de longues années, j'avais beaucoup appris. En observant les gens. Leurs faux sourires, les hypocrisies, pour comprendre leur fragilité. Ils cachaient tout à l'intérieur et barricadaient l'entrée. C'était comme ça, maintenant. On ne pouvait plus se permettre d'être sensible, d'être trop gentils avec tout le monde, parce que c'était comme signer son arrêt de mort. Alors tout le monde se cachait derrière des barrières, et mentait, pour fabriquer une fausse réalité dans laquelle chaque geste chaque mot était mensonge.

J'avais vécu plus de 12 ans avec mon frère, jumeau soit dit en passant, et on me l'avait enlevé, comme ça. Comme si à douze ans, on ne ressentait rien. Ils me l'avaient enlevé comme ça, sans préavis, sans aucune parole, sans aucun regret. Je l'avais compris trop tard, et à chaque fois que je demandais de savoir où il était, au moins ça, on évitait le sujet, on détournait la conversation. Les parents qui m'avaient prise en charge paraissaient peinés quand je remontais dans ma chambre en courant, ne réapparaissant plus de la soirée. Comment ça, ils ne pouvaient rien dire? C'est pas n'importe qui. C'est mon frère! Ils ne voulaient pas que je revois l'une des seules personnes qui m'a toujours protégé jusqu'ici, sous prétexte que ça serait trop dur après. La seule avec qui je me suis battue envers et contre tous, sans qui je n'aurais pas pu survivre jusqu'ici, face aux gestes de ma mère. Les années ont passé et j'ai moi même construit ma barricade intérieure. Mais c'était pas comme celle des autres. C'était pour me protéger de leur fausseté, de leurs mensonges. Je paraissais indifférente au monde, qu'à la recherche de la seule vérité et de la justesse. J'avais de commun avec les autres cette part de sensibilité. Que j'avais enfoui au monde de moi, comme tout le monde, cette fois ci. Et j'étais certaine que seule la présence de mon frère pourrait la faire s'éveiller.

Je passais plus de 6 ans sans nouvelles de mon frère avant d'atteindre la majorité. 18 ans, je pouvais enfin faire ce qui me plaisait, j'étais mon propre responsable légal. J'étais pleinement reconnaissance à la famille d'accueil, qui avaient été d'une générosité extrêmement grande depuis que j'étais arrivée. Mais il était temps pour moi d'arrêter de vivre sous leur tutelle et gagner en autonomie. A vrai dire, je n'attendais que ça. Depuis quelques temps, j'avais en tête de prendre le chemin des Etats Unis, dans la ville de Cambridge, pour y étudier la photographie. Cette passion m'était venue grâce au père, que j'avais bombardé de questions un jour, alors qu'il développait ses photos. En peu de jours, il m'avait tout expliqué, et peu à peu, j'avais appris de moi même.

2008, Cambridge.

Avant de partir, j'avais pris le soin de chercher des informations à propos de mon frère, je savais seulement qu'à sa majorité il était allé aux Etats Unis, et on me l'avait décrit physiquement. Malgré ce peu d'informations, j'avais la volonté de le retrouver, quoiqu'il arrive. Je m'étais inscrite à Harvard pour y étudier la photographie et j'avais été acceptée sans problème. J'avais trouvé un logement après plusieurs mois de recherche, et m'y étais installée en arrivant. Tout ceci signifiait nouveau départ, nouvelle vie, pour tenter de donner raison aux années passées à se battre pour (sur)vivre. Je voulais retrouver mon frère et aller de l'avant, essayant de me construire un avenir solide, beaucoup plus que celui qu'on pouvait viser lorsque ma mère avait bu et faisait ses crises, manquant de donner le coup qui serait fatal. On avait trop donné pour s'en sortir pour tout abandonner là maintenant. J'espérais que mon frère s'en était sorti mieux que moi, que tout avait été encore mieux que pour moi. Au revoir passé, bonjour avenir.