« Mademoiselle Kennedy ? » « Oui ? » « Vous pouvez entrer, le professeur Campbell vous attend » « D'accord, merci »

J'entrai dans la salle à reculons, ces rendez-vous chez le psy ne m'enchantaient guère et je les évitais le plus possible, mais à force de les manquer les nouvelles étaient arrivées aux oreilles de mon paternel, lequel m'avait immédiatement appelée et réprimandée. Je m'en souvenais parfaitement, c'était la première fois que je lui parlais depuis ce fameux jour. « Tu vas aller à ces rendez-vous et arrêter de jouer à la petite fille outrée et rebelle. » « Sinon quoi ? » « Tu sais très bien de quoi je suis capable. » Fin de la conversation. Pas mal pour une première depuis plusieurs semaines non ? Mais en m'exilant à Cambridge j'avais pris la décision de ne plus avoir de contacts avec lui, alors le choix fut simple, je me rendais à ces rendez-vous de malheur et il ne m'appelait plus, simple et efficace. Non, vraiment je n'avais plus à me plaindre de la situation, je jouissais petit à petit de ma nouvelle liberté, quitte à me perdre parfois.

« Bonjour Jude ». Je ne répondis pas, c'était inutile, de toute façon, je ne répondais jamais. Je me contentais de venir, de m'asseoir et d'attendre. Attendre que cette fichue heure de consultation se termine. Je n'ai pas besoin d'un psy, personne ne peut comprendre, à quoi bon vouloir comprendre ? Moi-même je ne me comprenais plus. « Vous savez Jude, ce n'est pas en restant prostrée ainsi que les choses s'arrangeront. » « Peut-être que je n'ai pas envie qu'elles s'arrangent » « Je commençais à désespérer de vous entendre un jour » « Ne vous y habituez pas trop » « Loin de moi cette idée. Vous êtes sûre de ne pas vouloir me parler de vous ? » « A quoi bon ? Tout ce qu'il y a à savoir est écrit dans votre fichu dossier » « Certaines informations y figurent en effet, mais j'apprécierai beaucoup de les entendre de votre bouche » « Si ça peut vous faire plaisir. »

Je ne comprenais pas trop ce qui m'arrivait, jamais auparavant je n'avais songé à parler de moi, et pourtant, c'est ce que j'étais entrain de faire. Peut-être que la digue que j'avais dressée était entrain de se fissurer tout compte fait. « Je m'appelle Jude Prune Kennedy, et non je n'ai aucun lien de parenté avec le président. Je suis née le 22 septembre de l'année 1989 à Washington. Mon père est ambassadeur des Etats-Unis ce qui fait que j'ai énormément voyagé à ses côtés, ma mère étant décédée pendant l'accouchement. J'ai vécu dans plus de lieux que vous ne pourriez l'imaginer. J'ai vu plus de choses que vous n'en verrez jamais. J'ai peu d'amis, très peu, c'est un choix que j'ai fais. Et puis étant donné la situation c'était plus simple ainsi. Avant d'intégrer Harvard je n'avais jamais été intégrée dans un système scolaire, profitant de l'immense privilège d'avoir des précepteurs pour s'occuper de mon éducation. Petite je n'aimais pas ma vie, je la trouvais ennuyante au possible, et puis j'étais seule, désespérément seule. Jusqu'à ce que Jess arrive dans ma vie. » « Parlez moi de cette Jess » « Jess, elle est comme moi, on s'est rencontrées par l'intermédiaire de nos pères qui exerçaient la même fonction. Et très vite, j'ai appris à l'apprécier, et à apprécier la vie que notre statut nous offrait. Les fêtes mondaines ne connaissaient que nous, la vie ne connaissait que nous, pendant longtemps il n'y a eu qu'elle et moi. Et aujourd'hui encore elle est ma plus vieille et ma plus fidèle amie. » « Vous semblez être très attachée à cette demoiselle. » « Je le suis. Énormément. »

Je m'étais soudainement tue, lasse de parler de moi ainsi. « Je suppose que je n'entendrai plus rien de votre part pour aujourd'hui, mais c'est très bien Jude, parfois se livrer peut faire du bien, et je suis sûre que dans votre cas ça ne peut qu'être bénéfique. » « C'est ça ouais. » « Bon et bien je vais prendre la relève. » « Si ça peut vous faire plaisir. »

« Vous aviez à peine 20 ans lorsque votre père s'est vu proposer le poste d'ambassadeur des Etats-Unis en Afghanistan. Vous avez été la première à laquelle il s'est adressé pour avoir votre avis, avis qui ne pouvait être que positif puisque vous saviez que votre amie suivrait son père tout comme vous. Là, vous avez continué à beaucoup sortir, à faire la fête, et puis vous l'avez rencontré. Comment s'appelait-il déjà ? » « Nolan » « Oui voilà, Nolan .. Vous êtes tombée amoureuse, follement amoureuse, il était tout pour vous, je ne me trompe pas ? » « .. » « Vous êtes tombée amoureuse, et du jour au lendemain il a disparut, tout simplement, plus personne n'a eu de nouvelles de lui, et il ne vous restait plus que vos yeux pour pleurer. » « Fermez là. » « C'était il y a deux ans, et aujourd'hui encore, sa perte vous fait mal n'est-ce pas Jude ? » « Fermez là j'ai dis ! » Oh ce type, cet espèce d'ignorant, il osait parler de Nolan, il osait prononcer son nom devant moi ! Je me levai dans un sursaut terrible, attrapait mon sac et sortit du cabinet en prenant bien soin de claquer la porte derrière moi. La sécrétaire voulu m'arrêter « Mademoiselle Kennedy, il faut que vous preniez votre prochain rendez-vous ! » « Allez vous faire foutre ! Allez tous vous faire foutre ! »

Sortir d'ici, il fallait que je sorte d'ici. Je me précipitai à l'extérieur du bâtiment. Savourant ma liberté retrouvée. J'étais déjà venue ici, plusieurs mois auparavant, j'avais été prête à poser mes valises quelque part, et mon choix s'était attardé sur Cambridge, mais mon père m'avait rappelée à lui, et j'étais repartie sans rien dire à personne, mais voilà que j'étais de retour, affranchie de l'autorité paternelle, et prête à tout pour prendre un nouveau départ. Un tout nouveau départ.