On dit d'elle, qu'elle est heureuse, mais certainement pas comblée. Elle serait même un peu trop capricieuse, un cadeau empoisonné.

Nous sommes en juin, il fait beau dehors, si on tend l'oreille, on pourrait même entendre les oiseaux chanter, mais ce n'est pas ce qui intéresse Lula ce matin là. Non. Plus rien ne l'intéresse depuis longtemps. Il est 8h, son réveil vient de sonner. Et voilà qu'elle se lève. C'est automatique chez elle. Elle est devenue une automate. Tout ça depuis qu'il est parti. Elle a perdu son sourire, il lui manque son sourire. Mais elle ne le retrouvera que lorsqu'il reviendra enfin. S'il revient un jour. Mais ça, seul l'avenir nous le dira. Elle se prépare, sans se préoccuper de ce qu'elle fait. Machinalement. Sans prêter attention à ses affaires éparpillées ça et là dans sa chambre. Bordel organisé. Elle attrape sa veste et s'en va. Il faut absolument qu'elle travaille si elle veut être en mesure de payer son loyer à la fin du mois. Qui a dit qu'on était forcément heureux à 22 ans ? Certainement pas Lula.

Vous l'avez vu vous aussi n'est-ce pas ? Ce cahier grand ouvert, posé négligemment sur un bureau, je suis sûre que vous mourrez d'envie d'y jeter un coup d'oeil. Elle ne vous le pardonnera pas vous savez ? Elle est rancunière la jolie Lula. Vous voulez prendre le risque ? Soit, approchez. Doucement ! Ne vous faites pas remarquer. Lisez. Apprenez. Comprenez.

Il est parti ce matin, comme ça, sans un mot, sans une explication. Je suis rentrée et ses valises étaient prêtes. Je n'ai rien fais pour le retenir. Préférant maudire ces larmes qui se sont mises à couler le long de mes joues. Trois heures. Ca fait trois heures qu'il m'a laissée. Je le déteste, il n'avait pas le droit. A la vie à la mort, il me l'avait promis. Il est quand même parti. Je ne lui pardonnerai pas. Jamais ! Ca fait trop mal. Trop mal. Mon coeur est vide, il a emmené tous mes sentiments avec lui. Qu'il revienne. Je veux qu'il revienne. Mais il ne reviendra pas. Et moi je crèverai là. Seule. Sans lui. Vide. De lui.

Continuez, tournez les pages. Remontez dans son passé. Découvrez là. Aimez là. Elle est unique notre jolie Lula. Unique mais brisée. Unique mais mal aimée.

Papa et maman sont parti. Ils sont au ciel d'après mamie. J'aimerai bien les retrouver. Ils viendront me chercher j'en suis sûre ! Ca a fait sourire mamie quand je lui ai dis que j'allais les attendre, c'est pas si loin le ciel après tout non ?

Ah oui, je me souviens bien de la Lula ayant écrit ces quelques phrases. Elle avait 10 ans, c'est dur de perdre ses repères à 10 ans. Elle s'en est remise. Se reposant sur sa grand-mère autant qu'elle le pouvait. Jusqu'à ce qu'elle la quitte elle aussi. Pauvre petite Lula. A 17 ans, elle a du apprendre à se débrouiller seule. Le foyer l'accueillant était tout sauf rassurant, et elle qui n'avait connu que l'amour, a découvert l'indifférence. Vous le comprenez bien en parcourant les pages de son cahier, cet espèce de journal intime improvisé. Elle a toujours fait avec les moyens du bord notre Lula. Les souvenirs sont éparpillés dans ce cahier. Pages arrachées puis recollées. Des morceaux de vie jetés sous vos yeux. Mais lisez, ne vous arrêtez pas. Vous avez lancé la machine. Impossible de vous stopper maintenant.

Morceaux de vie. Morceaux d'âme. Vous découvrez comment Lulà est tombée amoureuse. Follement. Totalement. Irrémédiablement. Elle a apprit la passion. Ses ravages et ses meurtrissures. Elle a apprit l'amour. Le manque et la folie qui en découle parfois. Souvent. A 19 ans elle a construit toute sa vie autour de cet homme. Leur relation durera près d'un an, une année de bonheur et de plénitude pour Lula. Jusqu'à ce qu'il parte. Jusqu'à ce fameux soir. Ce soir Lula ne rentrera pas. Son appartement restera désespérement vide. Et sa petite compagne, la si gentille Marguerite attendra impatiemment que sa petite maîtresse fasse son retour et la câline comme tous les soirs. Mais ce soir elle n'aura pas droit à ses caresses habituelles. Parce que ce soir Lula ne rentrera pas. Parce que ce soir Lula a eu un accident. Fauchée par un véhicule juste en bas de son immeuble. Ce soir Lula s'accrochera à la vie parce que la mort serait bien trop paisible. Ce soir Lula se battra pour vivre. Pour voir encore un autre matin. Ce soir Lula se battra pour vivre. Avec l'espoir qu'un jour il reviendra et qu'elle ne se sera pas battue pour rien.

Il n'est pas revenu. Il me manque.

Un an. Elle l'a attendu pendant un an, mais aujourd'hui elle en a assez. Aujourd'hui elle a résillié le bail de l'appartement qu'ils avaient choisit tous les deux. Aujourd'hui elle en a passé la porte pour la dernière fois. Et puis elle est partie. Elle a tout laissé derrière elle. Tout sauf Marguerite. Lula. 21 ans. A débarqué il y a 3 mois pour se reconstruire une vie, pour prendre un nouveau départ et apprivoiser une nouvelle Lula puisque l'ancienne ne lui appartenait plus.

Jolie Lula se donne des airs de petite fille gentille. Mais jolie Lula n'est plus. Elle est restée à Moscou, et ici à Cambridge, elle a du se faire sa place. Quitte à écraser les autres. Elle a du s'adapter. Quitte à devenir ce qu'elle n'est pas. Elle fume. Boit. Couche. Et en même temps elle a gardé ce visage d'ange, celui qui vous dira toujours : venez, regardez, vous pouvez vous confier à moi, ayez confiance, je ne vous ferai pas de mal, ayez confiance, avec moi vos secrets seront bien gardés. Jolie Lula sourit, puisqu'elle ne sait faire que ça. Jolie Lula a intégré Harvard, ses notes ayant toujours été plus élevées que la moyenne, rapidement, elle a trouvé une place au sein des Lambda. Ses photos plaisent, et elle aime ça, se sentir reconnue, aimée. Finalement, elle n'est pas si triste que ça, quand elle pense à la Lula qu'elle est devenue.