«  Vous êtes condamné. Je suis désolé. » Condamné. À vivre ou à mourir ? Condamné. J’allais le perdre. Il allait crever et me laisser seule le salaud. Quelle idée nous avions eu aussi. Quelle idée de vouloir vivre comme des imbéciles, quelle idée de toujours vouloir repousser nos limites. J’allais le perdre. Il allait me laisser, il allait m’abandonner. Comment allais-je faire pour vivre sans mon cœur ? Sans mon âme ? Sans repères. Enfoiré je te déteste. T’as pas le droit de me laisser. Nan, t’as pas le droit de me quitter. « Je m’en vais. C’est mieux pour toi. ». Espèce de con, si tu crois que faire ça arrangera les choses. Tu vas mourir dans quelques semaines et tout ce que tu trouves à faire c’est fuir ? Soit, si ça te fais plaisir, je ne vais pas te revenir. Pars. Dégage. Et ne revient plus. « Reste ». Espèce de con, tu vois, tu me rends faible. J’ai pas envie que tu partes. J’ai pas envie de devoir vivre sans toi. Pas si vite. Pas déjà. Reste encore un peu. Je veux pouvoir te supporter jusqu’au bout. Je veux qu’on se détruise jusqu’au bout.

« Détruis moi. Aime moi. ». Fais moi mal, j’ai besoin de me sentir vivante. J’ai besoin d’être sûre que j’existe. Il n’y a que toi qui sais me le prouver. Enfin. Qui savais. T’es parti depuis deux jours. Deux jours que je crève. Reviens. J’ai pas assez profité de toi. Reviens. Tu me manques déjà. Veuve à 21 ans. C’est fou non ? Mais je n’ai jamais voulu que ma vie prenne un tournant routinier. J’aurai au moins réussi ça dans ma vie. On a tout fait trop vite toi et moi. Mais on s’en fichait. C’était toi et moi, et le monde. Ils ne nous comprenaient pas les gens. Comment je vais faire maintenant ? Il n’y avait que moi à ton enterrement, même tes parents ne sont pas venus, les imbéciles. De toute façon personne ne t’aimait comme je t’aime. Je veux que tu reviennes.

C’est fini, je me casse d’ici. Je quitte la France, j’en peux plus de ce pays. Y a tout qui me rappelle toi. Sauf que toi t’es plus là. T’es mort et enterré. Tu ne reviendras pas. Je me fais peu à peu à l’idée. Mais bordel, tu me manques. J’sais pas trop où je vais aller, l’Amérique peut-être ? Ou alors l’Afrique, j’ai toujours rêvé d’aller en Afrique, tu le sais. Tu m’avais promis qu’on irait d’ailleurs, encore une de ces fichues promesses que tu ne tiendras pas. Connard.

Ça a été l’Amérique. Il y a ce type qui m’a dit que j’avais ma place là bas. Qu’il me trouverait un job. Qu’il m’aidera à m’adapter. Je l’ai cru. Tu me connais, j’suis une naïve. Y a que toi qui me faisait voir la vérité en face. On a embarqué pour Atlanta un matin de juin. Je voulais vraiment recommencer une nouvelle vie, prendre un nouveau départ. Je l’ai pris. Pas comme je l’aurai voulu par contre. Une esclave. Voilà ce que je suis devenue. Son esclave. Trois mois, c’est tout le temps que j’ai tenu dans le rôle de femme objet. J’ai fini par me barrer. Par fuir une fois de plus. Qui ne s'est jamais laissé enchaîner, ne saura jamais ce qu'est la liberté. J’ai rassemblé mes affaires et je suis partie, j’ai laissé ma vie derrière moi pour la deuxième fois en moins de 6 mois. J’ai erré çà et là. Longtemps. Dormant où je le pouvais, mangeant comme je le pouvais. Me débrouillant. Vivant.

Je ne saurais dire comment j’ai débarqué à Cambridge, quelques mois plus tard, mais je suis arrivée comme ça, et là mon destin à une nouvelle fois basculé. Tout a commencé avec une photo. Une simple photo. Ta préférée en plus. Et voilà que je me retrouve devant un appareil à poser pour des magazines de mode. Je n’aime pas trop ça, mais ça paye bien, et avec tout ça je peux enfin louer un petit appartement. Oh rien de grandiose tu sais, mais c’est suffisant pour moi. Et pour toi aussi n’est-ce pas ? Je te vois parfois, je ne sais pas si c’est vraiment toi ou juste mon imagination mais je te croise parfois, au détour d’un couloir, d’une rue. Mais tu me fuis toujours, tu ne m’aimes plus mon amour ? Et puis alors je me rappelle que tu es mort, que tu n’es pas là. Tu ne peux pas être là. Alors j’oublie ta soi-disant présence. Jusqu’à ce que tu reviennes. Une nouvelle fois.

Les photos ça paye, oui mais pas assez. C’est bien trop aléatoire. Bien trop superficiel. Alors un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée frapper à la porte de cette université. Harvard. Sans diplôme en poche. Sans qualifications. Sans rien. Rien excepté ma connaissance de la langue française. J’ai eu de la chance. Beaucoup de chance. Leur professeur de français venant tout juste de quitter l’établissement pour des raisons personnelles. J’ai été prise à l’essai. Trois mois. J’y enseigne depuis plus d’un an maintenant. Il faut parfois tomber très bas avant d’être capable de remonter à la surface et d’être à nouveau en mesure de respirer et d’apprécier la vie. Cet état dans lequel j’ avais plongé ne me ressemblant pas, j’essaye de redevenir celle que j’étais avant, avant toi, la vraie moi, mais certaines habitudes ont la vie dure et il est bien difficile d'éradiquer la Nevaeh superficielle, et puis au fond je l’aime bien celle Nevaeh sûre d'elle. Alors je cohabite alors avec les deux, jonglant entre ces deux personnalités, certains parlent de schizophrénie, d'autres de double vie, moi, je me plais tout simplement à penser que j’ai un caractère bien compliqué. « C’est bizarre, on est entourés d’air… Partout… Et pourtant… Moi, j’étouffe… ».