Anna Chester. C’est moi. Je suis née à New York, d’une mère un peu délurée et d’un père légèrement hippie sur les bords. Mais détrompez-vous, j’ai eu une enfance très heureuse, même si je ne suis pas très proche de mes parents. Je m’entends très bien avec eux, je suis simplement indépendante. Déjà petite, j’étais très débrouillarde et j’ai rapidement mûrit. Ou alors peut-être simplement que je paraissais mûre à côté de mes parents qui ont toujours vécu comme des adolescents. Mais je ne leur en veux pas. Leur mode de vie, bien que très différent de celui que j’ai aujourd’hui, était très amusant. On avait du mal à arrondir les fins de mois c’est vrai, ma mère étant caissière dans un supermarché et mon père cherchant sa vocation sans jamais la trouver. Mais on s’en est toujours sorti. Mes parents sont du genre cool, ils ne m’ont jamais rien imposé et m’ont toujours laissée prendre mes propres décisions. Cependant, je n’ai pas mal tourné pour autant. J’ai toujours eu la tête sur les épaules et je n’ai jamais rien fait de mal. Mais je sais tout de même m’amuser et j’aime faire la fête, bien entendu.

Je suis quelqu’un de très sociable, et je me fais facilement des amis, même si ma franchise me joue quelques fois des tours. Mais tant pis, je dis ce que je pense, et si ça déplait, ce n’est pas mon problème. D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de montrer aux gens que je n’apprécie pas que je ne les porte pas dans mon cœur. Je ne m’encombre pas avec des personnes que je n’aime pas, des personnes du genre hypocrites, superficielles, langues de vipère. Cette description correspond bien à la plupart des filles de mon ancien lycée. C’est pourquoi à cette époque-là, je n’avais pas beaucoup d’amies. Mais je m’entendais relativement bien avec les garçons.

- C’est quoi ce tee-shirt ? me demanda une blonde peroxydée au soutien-gorge rembourré alors que je m’avançais dans les couloirs du lycée.
En fait, elle ne me le demandait pas vraiment. C’est vrai qu’elle me regardait, mais elle s’adressait plutôt à ses copines pompom girls, adossées contre leur casier, espérant leur arracher un petit rire moqueur au moment où je passai devant elle. Ces jeunes filles étant aussi prévisibles que stupides, elles se mirent en effet à ricaner. Ou plutôt à glousser comme des dindes.

Evidemment, je ne répondis rien, comme d’habitude. En effet, ce n’était pas la première fois que ces filles me faisaient une remarque sur ma tenue, qu’il s’agisse de mon tee-shirt ou de mes chaussures. Toute fille qui n’était pas vêtue d’une jupe courte et d’un décolleté jusqu’au nombril était ringarde à leurs yeux.

- Regardez-moi ce sac, continua t-elle en me lançant un regard empli de dégoût.
- Et sa veste… ajouta une de ces copines.

Je continuai mon chemin sans leur répondre ni même leur adresser un regard. Elles ne valaient pas la peine que je m’abaisse à leur niveau. Malgré mon ignorance à leur égard, elles ne se sont jamais fatiguées. J’ai été l’un de leur nombreux souffre-douleur tout au long du lycée, sans jamais répondre. Vous savez ce qu’on dit, la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe.

Heureusement pour moi, les choses étaient différentes à la fac. Ce genre de filles n’était plus qu’une minorité. C’est à Cambridge que je décidai de faire mes études de médecine. Le jour de mon départ, j’étais très excitée, bien qu’un peu nostalgique. Normal, j’avais passé toute ma vie dans cette maison et elle allait me manquer, tout comme mes parents. Mais je savais que tout irait bien. Et prendre enfin mon envol me ferait le plus grand bien.

- Appelle-nous quand tu arrives surtout, d’accord ? me demanda ma mère en larmes en me serrant fort dans ses bras.

Elle avait probablement fumé un joint pour se retrouver dans cet état, parce qu’elle n’était pas du genre s’inquiéter pour moi, ni même à pleurer en me voyant partir quelque part. Mes parents avaient toujours démentis mes soupçons quant à leur consommation d’herbe, mais je le savais. Je les avais déjà aperçus plus d’une fois en train de fumer, même s’ils ne s’en étaient jamais rendus compte. Et dire qu’ils croyaient être discrets. Malgré leur goût pour la fumette, ils ne souhaitaient probablement pas que je m’y mette, fondant en moi de grands espoirs et me voyant déjà architecte, avocate ou médecin. Ils aimaient leur mode de vie mais ils voulaient quelque chose de différent pour moi. Ça tombait bien, moi aussi.

- Travaille pas trop, hein. Et n’oublie pas de t’amuser ! ajouta mon père en me serrant dans ses bras à son tour.

- Ne vous inquiétez pas pour moi, tout se passera bien, leur répondis-je pour les rassurer, même s’ils me connaissaient suffisamment pour savoir qu’en effet, je me débrouillerai très bien.

Enfin, je quittai le cocon familial pour vivre ma propre vie. J’avais hâte de voir le campus, d’étudier la médecine, de faire la fête, de rencontrer d’autres étudiants. Je savais que je n’aurais aucun mal à m’adapter. Et j’avais raison. Je me suis rapidement fait des amis. J’ai pris le rythme, tout roule. Aujourd’hui je suis en quatrième année, ayant validé les précédentes avec succès. Je travaille beaucoup mais je trouve tout de même le temps de faire la fête, et je n’oublie pas de le mentionner à mon père lorsque je l’ai au téléphone, rassurant celui-ci de me savoir dehors de temps en temps au lieu de passer mes nuits le nez dans mes bouquins.