2009 ; L’Amérique. Un pays où je n’aurais jamais cru mettre les pieds. Un pays que je ne voyais que dans les films. Un passé qui ne me permettait pas d’avoir l’espoir d’y aller un jour. Abandonnée de mes parents, lors de ma naissance à Saint Petersbourg, en Russie. Orpheline, je n’ai jamais connu mes parents, et je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. Depuis le temps, je me suis habituée au manque. Et petite, je me demandais ce qu’il serait arrivé si ils avaient été là. Je ne serais déjà sûrement pas là, en train d’atterrir sur le sol Américain, pour faire un défilé à un gala. Je faisais ça, en Russie. Mannequin. J’ai fait des centaines de défilé, de photos en studio, pour d’innombrables marques dont aucun nom ne me revient. De toute façon, j’allais l’oublier, tout ça. Depuis ce fameux jour. Ce fameux jour de défilé.

J'entendis une voix, qui prononçait des mots familiers. Du Russe. Je tournai la tête vers la jeune femme blonde qui venait de franchir l'entrée de la salle où l'on se préparait, avant le gala. Nos regards se croisèrent. Elle était blonde, tout comme moi. Les mêmes yeux clairs et les mêmes traits du visage, fins. Je souris instinctivement, heureuse de rencontrer enfin quelqu'un parlant ma langue natale. J'avais appris l'anglais entre temps, mais le russe restera ma langue d'origine. Mais ce que je ne savais pas, c'est que la personne à qui je venais de sourire est la personne qui allait changer le cours de ma vie. Pour toujours. Et là, ce fut le commencement de la fin. Mais moi je ne le voyais pas comme ça. Avec cet abandon que je portais depuis ma naissance, j'avais enfin l'impression d'avoir trouvé un certain réconfort, et une certain protection sous l'aile de Washington. Elle s'appelait comme ça, l'ange qui était apparu devant moi. Washington. Elle m'a appris à reprendre goût aux choses que j'avais pris l'habitude de détester. Elle me sauvait de la routine dans laquelle je m'enfonçais davantage chaque jour, comme une sorte de sables mouvants. Elle m'avait attrapé au vol pour me faire voir la vie d'un autre angle. Et je pourrais tout donner pour elle. Je connais toute son histoire, et elle connaît toute la mienne. Je pourrais tout faire pour la sauver d'une quelconque manière. Alors toutes les choses qu'elle me dit, je le fais. Pas pour moi, mais pour elle.

Nous arrivons en destination de Moscou. Dans quelques instants, […]
Quelques temps plus tard, je redébarquais sur le sol Russe. Ne pensez pas que c'est moi qui l'avait décidé. J'aurais bien voulu rester en Amérique, avec Washington, j'y étais bien. J'avais enfin réussi à oublier un peu mon passé, enfin, à l'enfouir encore un peu plus profond. Car tout cela était trop lourd. Vous me direz, quel passé était à oublier. Il n'y avait pas grand chose à part une enfant orpheline, abandonnée, subissant une enfance écœurante, qui gardera pourtant toujours l'espoir en elle. Une haine qui la gagnait, de plus en plus forte, contre les hommes et toutes ces conneries. Mais ce sont les plus infimes choses qui peuvent provoquer les plus grandes douleurs. Et pourtant, j'étais revenue sur ma terre natale. Washington m'avait promis que ça serait une bonne idée. Face à une autre personne qu'elle me disant ça, j'aurais rigolé. En face d'elle, je n'avais rien dit et avait seulement acquiescé. Puis j'ai pris le premier avion direction Moscou. Le lendemain, j'étais devant elle. Elle m'avait rejoint. Mais seulement de temps en temps, me disait-elle. Elle m'avait aussi expliqué ce qui allait se passer lorsque l'on partirait de cet appartement. Je n'avais demandé pourquoi. J'avais fermé les yeux et lui avais fait confiance. Les autres pensaient que c'était à tort. Mais j'avais arrêté de me soucier des avis des autres. Je savais que cela serait un pas de plus envers la liberté de la jeune femme blonde qui se tenait à côté de moi. « Voila. Maintenant tu vas être gentille avec le monsieur d’accord. Ça passera vite, tu verras. Tiens. » Elle lâchait mon bras et ce fut une autre sorte de main qui enfermait à présent mon poignet. Je lisais dans ses yeux une certaine appréhension. Mais elle venait de me dire que tout allait vite se passer, alors je lui souris. N'aies pas peur, Washington. Théoriquement, c'est moi qui devrais. Et pourtant non, je ne ressentais aucune peur. C'était sûrement la proximité avec la jeune femme qui tenait encore cette peur au loin. Et puis je me suis habituée à ces visites d'hommes, tous différents les uns des autres, et pourtant, ils venaient tous pour la même chose. Je m'étais habituée aux coups, aux cris, aux faux semblants, à la douleur. Je m'étais habituée à tout ce paradis artificiel que Washington m'avait aidé à créer. Tout ça pour elle, et ensuite pour moi.

2011 ; Tout cela a duré un long moment, et même si c'était une autre sorte de routine, elle était déjà plus chaotique que celle que j'avais connu avant tout ça. Et il y a peu de temps, Washington m'a appris qu'elle comptait me ramener avec elle à Cambridge, afin d'y intégrer Harvard, où elle a réussi à me faire accepter. Aujourd'hui, je reviens en Amérique. Et je compte y rester.