◮ we're lonely, babe, in a boat, again

Je courrais au cœur de Times Square, en plein milieu de la nuit. Je bousculais les passants sans gêne, trébuchait, manquait de m'écrouler. De peur, de haine, de fatigue. Je courrais oui mais après quoi ? Après l'espoir, la sécurité, la sérénité, espérant secrètement qu'une voiture allait me renverser ? Sûrement. Je n'avais que dix-sept ans quand mes parents m'ont viré de la maison, non, de l'endroit où je vivais. Battue. Humiliée. Abusée. Un punching-ball sur pattes, défouloir à portée de main pendant dix-sept années. Je me dis des fois que j'aurais préféré mourir de leurs mains. La notion de famille, je ne la connaissais pas, je ne savais rien des sentiments, je ne ressentais que la peur et la douleur. J'étais à New-York depuis maintenant deux mois, et c'était deux mois d'enfer. Je travaillais dans un café en journée, et je me prostituais la nuit. Je n'avais pas de diplômes, rien du tout et je devais payer un loyer à la fin du mois, qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Donnez-moi des solutions, allez-y je n'attends que ça. ❝ Tu vas te faire renverser. ❞ m'avait dit quelqu'un en m'attrapant par le bras alors que j'allais traverser. Un ton calme, une pression légère sur mon poignet alors que je me débattais du peu de forces qu'il me restait. Je n'avais encore aucune idée de qui il était et même pourquoi il m'avait rattrapé car personne de la masse de gens qui m'entouraient n'avait pris attention à moi, alors pourquoi ? J'ai relevé la tête et je l'ai regardé, ses grands yeux bleus, son air froid et dur. C'était un des clients du café, ou il m'avait repéré sur un trottoir un soir ? Je ne pouvais rien dire, j'étais essoufflée et paniquée à cause de cet inconnu qui m'agrippait. Si j'avais su ce qui se passerait par la suite, je lui aurais déboîté la mâchoire sans aucune hésitation, et je lui aurais ri au nez.

◮ this isn't heaven

❝ Tu te payes ma tête Baylee. ❞ m'avait-il balancé à la tête en riant, avant de m'embrasser sur le front. Cela faisait maintenant deux ans que nous étions ensemble; j'avais dix-neuf ans, il en avait vingt et un. C'est lui qui m'avait sorti de l'enfer dans lequel je vivais depuis des mois mais l'approche n'avait pas été facile pour une simple et bonne raison : je me méfiais de tout, et encore plus d'une personne qui voulait soit-disant m'aider. Puis au bout d'un moment, j'ai compris qu'il voulait réellement m'aider. Je me suis souvent demandé pourquoi, sans oser lui poser la question pour autant. A son rire, j'avais fait un bond en arrière pour me retirer de son étreinte avant de le regarder totalement paniquée, incapable de dire un mot. A nouveau. Non non, je ne me paye pas ta tête amour, tu vas être papa. ❝ Non. ❞ m'étais-je contenté de répondre en scrutant son visage, sentant mes jambes trembler. Tout allait s'écrouler à nouveau, je sentais le sol se fissurer sous mes pieds et je te regardais totalement désemparée. Allez fais comme le soir de notre rencontre, rattrape-moi, serre-moi contre toi et dis-moi, surtout dis-moi que tout ira bien. Ce soir-là, t'as pas fait ça, t'as attendu que je m'endormes pour filer à l'anglaise. T'as été généreux ou tu as eu pitié de moi j'en sais trop rien, tu m'avais laissé de l'argent; quelle douce attention, acheter mon pardon. Sans un mot, une explication, rien. De l'argent dans une enveloppe sur la table basse, ta place maintenant froide au creux de nos draps, et les photos sur les murs sont les seuls souvenirs qu'il me reste de toi. Retour au point de départ, ça m'apprendra a trop rêver.

◮ pursuit of happiness

❝ Vous êtes sûre de votre choix, mademoiselle ? ❞ J'ai hoché la tête et fermé les yeux, ravalant comme je le pouvais les larmes qui menaçaient de couler sur mes joues. Ma tête me disait que j'avais fait le bon choix mais mon cœur me hurlait que j'étais en train de commettre la plus grosse erreur de toute ma vie. Enfin, le truc qui pompait mon sang et qui me permettait de vivre car sentimentalement parlant, j'étais au niveau zéro. Je ne pouvais tout simplement pas garder cet enfant. Notre enfant. Ou le mien plutôt, maintenant que j'étais seule ? Il n'était pas revenu à New-York, sa ligne avait été coupée, plus aucun contact n'était possible. Rayé de la surface de la Terre, je me retrouvais à nouveau seule. Avec l'argent qu'il m'avait laissé, j'avais réussi à m'inscrire dans un cours de photographie à New-York, j'avais retrouvé un job en tant que serveuse pour payer le loyer et tous les soirs j'espérais secrètement qu'il se pointerait avec son sourire en coin, avant de tomber à mes pieds. J'espérais qu'il s'en mordait les doigts, mais dans aucun cas il ne pourrait savoir ce que j'ai ressenti le jour où je suis allée me faire avorter. Et rien que pour ça, je crois qu'il me faudrait plus de temps que l'on ne peut imaginer pour essayer de le pardonner. Je croyais le connaître sur le bout des doigts, je lui accordais une confiance plus qu’aveugle; il avait ma vie au creux de ses mains, j'aurais fait n'importe quoi pour lui, vraiment, car il avait fait beaucoup pour moi. J'étais éperdument amoureuse, enfermée dans cette bulle dans laquelle j'étais toute seule finalement. Trahie, bercée d'illusions je ne réalisais pas que je fonçais la tête baissée droit dans le mur. Je ne demandais qu'une chose, c'était qu'il revienne. Rectification : j'aurais voulu remonter à ce jour-là, ne rien lui dire, aller me faire avorter et continuer notre vie ensemble. Tout aurait été tellement plus facile après tout. Et du jour au lendemain, c'est moi qui ait quittée la grande pomme, après avoir su que j'étais acceptée à Cambridge, par je ne sais quel miracle. Cela fait environ un an que j'ai changé de vie; retour à ma ville d'origine, oublié mon passé, je m'accorde une autre chance. On verra bien où ça mènera après tout, j'ai plus grand chose à perdre.