PARIS

Paris est une grande ville. On dit que c'est celle de l'amour, de la mode, et les scènes les plus romantiques des films y sont régulièrement tournées. Paris devrait être bien, mais Paris, moi je ne t'aime pas.

Je suis l'un des derniers de la lignée d'un très célèbre constructeur d'amplificateurs qui porte mon nom de famille, et vu le prix que coûtent les engins que l'entreprise de mon père vend, vous devez bien imaginer que l'argent n'a jamais été un problème pour notre famille. Étant donné le milieu dans lequel j'ai toujours vécu (c'est-à-dire naître dans une famille de musiciens et apprendre à jouer avant même de savoir lire ou écrire) et les influences de mon entourage, techniquement, j'ai eu une vie de rêve. Jamais je n'ai souffert de manque quelconque, que ce soit au niveau affectif ou sur le plan de l'éducation. Même à l'école tout se passait bien, je kiffais la life jusqu'à devenir assez mature pour comprendre que mon petit monde heureux reposait sur des bases très fragiles...

En fait, le mariage de mes parents était uniquement basé sur un point de vue stratégique pour sauvegarder la somme d'argent accumulée avec le temps, et j'ai appris à mes dépends que tout le monde avait un ou plusieurs amant/es dans la maisonnée. Quoi de mieux pour un gosse de 7 ans que de se rendre compte que y'a pas d'amour dans le coin mais que c'est que du business et que lui aussi va finir comme ça dans quelques années? L'horreur. Mais je ne pouvais rien faire encore, j'étais trop jeune à l'époque, et il me fallait tout simplement supporter la situation, car je n'avais pas d'autre choix.

Dans ma tête, je me suis fais plein de scénarios cependant, puis-ce que j'avais le temps. Je voulais voyager, partir loin de chez moi et me faire oublier parce que j'avais peur de mon avenir. En attendant, c'était études, économies, plans de route, amis, musique. Une vie de petit garçon normal en somme... mis-à-part que j'avais énormément de choses dans la tête contrairement à la majorité de mes camarades. Plus le temps passait, et plus, finalement, je voulais partir de ma ville qui s'était transformé en une prison. D'ailleurs, lorsque je partais en vacances, il m'arrivait souvent de m'éclipser de l'hôtel en solitaire pour faire l'explorateur, et il fallait appeler la sécurité pour partir à ma recherche. C'est mignon les enfants...

ESPAGNE

C'est à 16 ans que je me suis barré de la maison (avec ma guitare) parce que j'avais l'âge légal pour faire certaines choses. Je suis parti avec l'un de mes amis "riches" qui partageait les mêmes points de vue que moi et voulait prendre sa vie en main. Il s'appelait Michael et avait trois ans de plus que moi, mais nous étions comme deux frères à l'époque.

La destination que nous nous étions donné en premier lieu était donc cette chère Espagne. Pourquoi là-bas? Parce qu'on voulait commencer molo en allant sur la costa brava pour passer les vacances et mater les jolies filles, tiens! J'avoue que sur ce coup, l'image des gars qui veulent partir à l'aventure est cassée puissance 10'000, mais bon... c'était juste 2 semaines, histoire de se préparer à la suite, dirons-nous. Et cette suite arriva assez rapidement! On a prit le train jusqu'à Madrid en se démerdant comme on pouvait pour parler en anglais et apprendre quelques phrases grâce à un pote fait sur place, puis depuis l'aéroport on a prit le premier avion jusqu'en Angleterre parce qu'il y avait un concert de MUSE et qu'on ne voulait pas le louper. Oui, c'est pas sérieux tout ça, mais c'était super marrant, jusqu'à ce que j'apprenne que des recherches avaient été lancées par nos familles pour nous retrouver. C'était uniquement sur le territoire français heureusement, et lorsque Michael et moi l'avons appris, on s'est dépêchés de partir pour l'Amérique du nord afin d'être plus à l'abri de nos parents.

CANADA

C'est dans ce pays que j'ai fais la connaissance de LA fille. Elle était pas spécialement belle, pas spécialement féminine, mais moi je lui trouvais toutes les qualités du monde. On s'est rencontré dans une auberge où moi et mon pote avons passé la nuit, et en apprenant qu'elle avait une voiture, on a fait ami-ami avec très vite puis-ce qu'elle a bien voulu nous descendre jusqu'à la frontière. L'escapade a duré environ une semaine, mais après ça je ne voulais plus continuer à voyager. Rester avec Lena était devenu plus intéressant pour moi, et après m'être prit la tête avec mon ami qui a fini par s'en aller de son côté, je me suis donc installé chez la jeune femme. Mais bon... un mineur qui vit chez une majeure, qui n'a pas de boulot ni rien, c'était pas terrible au niveau "pratique". Enfin je m'en foutais moi, j'avais trouvé un job a plein temps et ça me convenait. J'avais une copine, j'avais ma musique, j'avais une vie cool et tranquille... tout allait donc pour le mieux.

Mon histoire avec Lena a duré jusqu'à mes 19 ans. Merveilleuses années durant lesquelles j'ai terminé de me développer physiquement et mentalement. À l'époque, j'étais encore un gars sympa et aimable... et puis c'est arrivé.

« Eliott... »
« Ouais? »
« On va être parents dans 6 mois »

Sur le coup, j'ai lâché la tasse de café que je tenais et je garde encore la cicatrice de la brûlure sur la jambe. Ce genre de nouvelles, on ne les attends pas. Moi, je me suis dis que j'étais dans la merde. Le seul moyen de rattraper le coup aurait été de retirer tout l'argent que j'avais sur mon compte en banque, mais après plusieurs années d'absence, je n'étais même pas sûr que mes parents aient laissé ce dernier ouvert. Avec un gosse sur les bras, ça allait devenir chaud de gérer les dépenses... et comme je n'ai jamais terminé mes études, j'ai jamais eu de diplôme un tant soi peu valable. Dans l'immédiat, je ne savais pas quoi faire, alors j'ai appelé Michael. Michael qui avait foutu sa vie en l'air. J'ai appris qu'il passait ses nuits dans les boîtes, qu'il dormait le jour chez des "potes" et que New York l'avait complètement bousillé. Il avait dépensé la majeure partie de son argent dans de la cocaïne, et aujourd'hui ça ne valait même plus la peine d'essayer de le ramener à la réalité; c'était plus qu'un toxicomane.

Être projeté ainsi dans la vie d'adulte, je ne m'y attendais absolument pas. J'aurais voulu profiter encore un peu et ne pas penser aux responsabilités qui guettaient de tous les côtés, mais c'était trop tard. Ma seule solution aurait encore été de fuir comme un lâche, mais j'aurais jamais pu me regarder dans un miroir après ça, alors je suis resté tout au long de ces 6 mois qui restaient entre le moment où j'ai commencé à grandir dans ma tête et celui où il faudrait mettre en pratique tout ça. Il n'y avait personne pour me dire ce que je devais faire lorsque la petite est née, et quand je dis personne, c'est vraiment personne mis-à-part 2 ou 3 amies. Taylor aura jamais connu sa mère puis-ce qu'elle est décédée d'hémorragie interne lors de l'accouchement, et moi j'aurais jamais su ce que ça fait de pouvoir compter sur l'aide de quelqu'un dans un moment critique, finalement.

Dans un premier temps, j'étais complètement démonté. J'avais juste envie de refiler le bébé à la première famille qui en voudrait et me casser dieu sait où pour mourir en paix. Cependant, dès le moment où j'ai eu ma fille dans les bras pour la première fois, je me suis dis "hé, et si je leur bottais tous le cul et que je leur montrait qu'on peut tous s'en sortir si on le veut?"

ÉTATS-UNIS

Il aura fallut beaucoup de courage de ma part pour le faire, mais je l'ai fais. Appeler mes parents. Leur dire que je suis vivant, que je suis désolé, leur raconter toute la vérité. J'avais un peu craqué il faut dire, mais quand on a à peine 20 ans et qu'on se retrouve sans sa copine du jour au lendemain, que votre meilleur ami va surement faire une overdose un de ces quatre et que vous ne savez pas où aller pour pas mal finir, eh bah voila. J'ai eu de la chance que ma famille soit tellement heureuse que j'existe toujours au point qu'ils ne m'ont jamais vraiment tenu rigueur de mon erreur monumentale d'adolescent... et bon sang, je n'ai jamais autant aimé ma mère et mon père que depuis le jour où ils m'ont permit de rentrer "chez moi", à Boston, puis-ce que c'est là qu'ils avaient déménagé. Grâce à leur aide j'ai pu reprendre les études, avoir quelqu'un pour s'occuper de la ptite quand je suis pas là, et surtout reprendre une vie normale. Jamais je n'ait autant apprécié l'ennui monotone de l'université, pour moi c'est un peu le paradis sur terre après ce que j'ai connu.

Voila, vous savez tout. Ne vous étonnez pas si je suis un mec un peu rigide par contre, c'est une déformation professionnelle. Je déteste les gens qui se plaignent et aussi ceux qui abandonnent trop vite. Le concept de "pitié" et moi, on n'est pas trop copains... et pour le moment, j'ai juste besoin de décompresser et de redevenir un mec comme les autres.