27 août 2007 L’ascenseur grimpait doucement les étages. Il s’arrêta au treizième étage, et la sonnerie cristalline annonçant l’ouverture des portes retentit. Autumn sortit rapidement de l’ascenseur, elle n’aimait pas ces boites de métal, même si elle lui permettait d’éviter un bon quart d’heure d’escalier. Elle soupira et entra dans le bureau sur lequel donnaient les portes de l’ascenseur. Elle retira ses lunettes de soleil de son nez pour les glisser dans ses cheveux bruns. Le bureau, ou plutôt la salle d’attente était tout en bois : les murs, le sol, dans des tons plus ou moins foncés. Deux canapés en cuir noir s’étalaient contre un mur, et de l’autre côté se trouvait un bureau avec une jeune femme. Autumn s’avança vers elle. Pas un sourire sur le visage, juste un air légèrement contrarié. La jeune femme releva la tête vers elle, et lui offrit un sourire, joli et professionnel.
- J’ai rendez-vous avec le docteur Emerson.
- Elle vous attend.
Sans un mot de plus, Autumn se dirigea vers la porte au fond de la salle. Elle ne sourit pas à la charmante secrétaire qui venait de l’accueillir, ni la remercia. Elle entra directement, sans frapper, et d’un regard fit le tour de la pièce. Neutre. Ici, tout était beige, du moins presque, il y avait bien cette espèce de divan en cuir noir où les clients étaient censés s’allonger. Derrière un bureau en bois, une femme rousse qui devait avoir la quarantaine, releva la tête à son arrivée, et lui adressa un sourire tout aussi professionnel que la secrétaire.
- Je suis Autumn Warrens. Ma belle-mère a pris rendez-vous.
- Très bien, installe-toi.
Autumn ne se fit pas prier. Elle enleva sa veste et la posa sur le dossier du divan, avant de s’y asseoir, elle croisa les jambes, posa son sac à ses pieds et cala confortablement son dos contre le dossier. Elle sentait que se serait une longue après-midi. Sa belle-mère avait eu l’idée judicieuse de prendre rendez-vous pour elle avec un psychologue. Et elle avait été intraitable là-dessus. Autumn n’avait pas eu le choix. Sabelle- mère adorait imité ses amies, et quand l’une d’elle lui avait parlé des consultations de sa fille, elle s’était empressée de faire de même pour la sienne. L’instinct grégaire. Sa belle-mère était un véritable mouton, aucune originalité. Autumn soupira. Et dire que son père s’était remarié avec elle. Eurk. Et puis il ne savait pas lui dire non… Une catastrophe. N’ayant pas l’attention de débuter cette entretien, Autumn garda le silence et se contenta de fixer le docteur Emerson.
- Veux-tu que l’on parle d’un sujet précis ?
- Ecoutez docteur Emerson…
- Appelle-moi Allison.
- Allison, je ne suis pas à l’initiative de ce rendez-vous. Je n’ai pas besoin de psy pour savoir ce qui s passe dans ma tête. Ma belle-mère pense que c’est « branché » d’avoir une fille qui va chez le psy, et aussi parce qu’elle ne me supporte plus. Ce qui explique ma présence ici.
Allison eut un petit sourire, nota rapidement quelque chose sur son petit carnet, et vint s’asseoir dans le fauteuil qui se trouvait près d’Autumn.
- Très bien. Parle-moi un peu de toi.
Elle avait toujours ce petit sourire qui se voulait réconfortant. Autumn en avait la nausée. Elle détestait parler d’elle, elle détestait ces personnes qui croyait pouvoir la déchiffrer juste d’après quelques paroles, juste d’après les faits qu’elle racontait. Si la vie était aussi simple, elle le saurait. Elle soupira, autant en finir au plus vite.
- Je suis née en décembre, à Philadelphie. Mon père est politicien, ma mère institutrice. J’ai une sœur jumelle, Hayden. Mais je ne la connais pas plus que ça, tout comme ma mère. Je ne les ai pas revu depuis le divorce.
Elle leva brièvement les yeux au ciel. Décidément, elle n’avait rien à faire ici.
- Ressentez vous un manque par rapport à l’absence de votre mère et de votre sœur ?
- Non. Le divorce a été prononcé quand j’avais 5 ans. Je ne me souviens que peu de ma mère et de ma sœur. Si nous n’étions pas identiques je pourrai même affirmer de ne pas pouvoir la reconnaitre dans la rue. Mais la génétique s’en est mêlée… Après mon père m’a offert tout ce que je pouvais rêver dans ma vie, et a parfaitement réussi à me donner une éducation équilibré… Du moins jusqu’à ce qu’il rencontre ma belle-mère.
- Pouvez-vous en parler ?
- Vous voulez que je vous dise quoi ? Ma belle- mère est une croqueuse d’homme, elle aime les hommes de pouvoir, mon père en est un. Et il se trouve qu’elle doit ressentir un peu plus pour lui vu qu’elle l’a épousé. Mais ca ne change pas que c’est une idiote superficielle.
- Quelles sont les relations que vous entretenez avec votre belle-mère ?
- Je ne la supporte pas. En même temps comment je pourrais avec son grain dans la tête ? Elle ne pense qu’à elle, à son apparence et aux regards des autres. C’est impossible de vivre avec elle. Et puis elle accapare tout le temps mon père…
- Parlez-moi un peu de votre père.
Autumn baissa la tête, et ferma les yeux un moment. Elle détestait toutes ses questions, elle détestait cet entretien, elle détestait sa belle-mère et même cette thérapeute qui était peut-être plus douée qu’elle n’y paraissait. Elle détestait parler de son père... Du moins maintenant. Quelques années plutôt elle était intarissable sur le sujet. Elle releva rapidement la tête. Et fixa Allison. Elle ne se démontrait pas, mais celle-ci ne trouverait rien. Elle n’avait pas de problème, et elle comptait bien que ce rendez-vous soit le premier et le dernier. Le docteur Emerson voulait qu’elle parle, elle allait parler.
- Mon père est un politicien reconnu. Je suis sûre et certaine que vous en avait déjà entendu parler. Après avoir divorcé, mon père a déménager à Los Angeles, et m’a emmener avec lui. Nous étions très proches. Il passait tous ses moments de libre avec moi, nous n’avions aucun secret l’un pour l’autre.
- Et maintenant ?
- Comment ça maintenant ?
La voix d’Autumn était acide et son ton laissait entendre qu’elle ne voulait pas en dire plus. Le docteur Emerson ne se démonta pas pour autant, elle fixa durement Autumn, n’ayant que peu apprécier le ton qu’elle venait d’employer. Pour qui se prenait cette gamine de 17 ans. Elle avait beau être issue de la haute société, être aussi mignonne que la couverture de vogue avec ses yeux noisettes en amande, sa crinière brune et son sourire en coin, elle avait beau avoir un compte en banque sûrement mieux remplie qu’elle, Allison n’allait sûrement pas se laisser faire par cette petite minette en talon et robe de créateurs.
- Votre père, vous ne parlez de lui qu’au passé. Aujourd’hui, vos relations.
- Je n’ai pratiquement plus de relations avec mon père. La dernière conversation que j’ai eu remonte a des mois. Entre ma belle-mère et son boulot, il n’a plus de temps à m’accorder.
Elle était sarcastique, comme toujours quand elle se retrouvait dans ce genre de situation, où elle avait envie de fuir, de mettre son poing dans la figure de son interlocuteur, mais où elle devait garder son calme, et son contrôle, et répondre simplement.
Allison semble déconcertée pendant un instant. Elle secoua rapidement la tête, se leva et alla à son bureau. Elle prit un classeur, et vint se réinstaller en face d’Autumn. Elle ouvrit le classeur, et Autumn vit distinctement sa photo avec diverses notes.
- Je vois… C’est un problème que nous allons devoir étudier avec sérieux. Votre belle-mère m’a aussi parlé d’un problème d’anorexie.
- Je ne suis pas anorexique. Nouvelle lubie de ma belle-mère quand elle a appris que la fille d’une de ces amies avait été envoyé dans un centre spécialisé. Malheureusement pour elle, aucun médecin n’a voulu m’admettre dans un de ces centres, je n’avais pas de problème de poids. Je suis mince, mais pas anorexique.
Autumn souffla. Elle détestait devoir se justifier sur son état physique. En quoi cela regardait les autres ce qu’elle souhaitait faire avec son corps. Elle ne se trouvait pas particulièrement mince, après tout, tout le monde était comme elle, du moins dans son monde…
- Vous savez, dans la société dans laquelle je vis, je suis bien. Physiquement. Si je prenais un ou deux kilos, je serai considéré en surpoids, et je ne vous décris pas la réaction qu’aurait ma belle-mère. Donc son histoire d’anorexie, oubliez-la. De plus, je veux percer dans le monde de la mode ou de la musique, c’est déjà assez difficile sans kilo superflu, alors avec, je ne vous raconte pas.
Allison acquiesça d’un signe de la tête, nota de nouveau quelque chose dans son carnet, et releva la tête vers Autumn. Cette dernière commençait sérieusement à s’ennuyer. C’était sa belle-mère qui devrait être à sa place, c’était elle qui avait un problème, pas elle. C’était sa belle-mère qui lui inventait des problèmes pour la rendre intéressante auprès de ses amies.
- Vous jouez de la musique ?
- Oui. Je suis au conservatoire. Je joue du piano. Je fais un peu de guitare aussi, pas grand-chose.
Autumn leva encore une fois les yeux au ciel, s’imaginant ce que sa mère avait encore pu raconter sur elle pour que le psy trouve quelque chose, un quelconque problème.
- Elle a du vous dire que je donnais des noms à ma guitare et à mon piano c’est cela ? Vous savez c’est courant chez les musiciens.
- Mmmmh… Oui. Vous composez ?
- Un peu.
Encore un mouvement de la tête de la part d’Allison, et elle griffonna de nouveau sur son carnet. Elle releva la tête vers Autumn, réajusta ses lunettes sur son nez.
- Que voulez-vous faire plus tard ?
Pour la première fois depuis son arrivée, Autumn prit le temps pour répondre. C’était la première fois que quelqu’un s’intéressait à ce qu’elle voulait faire à part son conseiller d’orientation. Et bien qu’elle savait très bien où elle voulait aller, ce qu’elle voulait devenir, elle laissa une minute passer avant de répondre à la question.
- Je souhaite rentrer à Harvard, pour y suivre des études de droit. Cela m’a toujours fasciné, et savoir que je peux sauver des innocents juste avec de simples mots. Mais ce que je souhaite par dessus tout, est de percer en tant qu’artistes ; J’adorerais signer avec un label, sortir un album, partir en concert, ou encore défiler pour un grand créateur. Mais je ne suis pas assez sotte pour croire au destin, ou si justement. Si le destin a choisi que je ne pouvais pas devenir chanteuse ou mannequin, je veux avoir une roue de secours qui ne soit pas animatrice dans des mariages ou des anniversaires. Je veux me réveiller à 40 ans en aimant toujours ce que je fais, en me disant que je sers à quelque chose. De plus, même si j’arrive à signer un contrat, qui me dit qu’au bout de quelques années je serais toujours sur scène, et pas mise au placard comme un tas d’autres chanteurs. Et je dois avouer que j’aime l’argent, un salaire de serveuse ne me contenterait pas.
Autumn eut le droit à un nouveau mouvement de la tête par Allison avant que celle-ci ne fasse de nouveau glisser son crayon sur son carnet. Cette psy allait la rendre folle, qu’est ce qui pouvait être si important à noter sur sa petite vie, sur ces ambitions ?
- Je suppose donc que vous n’avez pas réellement de problème sur le plan scolaire.
- Non pas vraiment. Je pense que la seule qui puisse vraiment me concurrencer est Hayden, après tout on a les mêmes capacités.
- Bien et sur le plan sentimental ?
- Je n’ai aucun problème sur ce plan là non plus, et je suis actuellement célibataire, ce qui est normal. Tout le monde passe par cette case là à un moment ou à un autre non ?
Un silence s’imposa. Allison la regardait, et se mordit la lèvre inférieure. Autumn sut tout de suite la prochaine question qu’elle allait lui poser. Elle ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.
- Je n’ai pas de problème non plus dans ma vie sexuelle, ni avec mes amis, et à part le fait que je trouve ma belle-mère un peu folle, je n’ai aucun problème. Nous avons donc fait le tour de ce sujet, nous pouvons passer au suivant.
Autumn eut un petit sourire devant l’air décontenancé de la psy. Elle adorait prendre les gens de court, deviner ce qu’ils allaient faire, ou demander avant même qu’il n’ouvre la bouche, et leur répondre du tac au tac. Elle adorait ce petit air perdu qui s’affichait alors sur leur visage pendant qu’ils essayaient de remettre leurs idées en place pour poursuivre la conversation, ou ici l’entretien.
Allison secoua la tête, et soupira.
- Bien je pense que nous en avons fini pour aujourd’hui.
- Oui, c’est cela.
Il y avait de la désinvolture dans la voix d’Autumn, plus un défi. En effet la jeune fille ne pensait pas remettre les pieds dans ce bureau de si tôt, jamais pour être exact. Autumn se leva, remit les plis de sa robe bleu marine et saisit son sac à ses pieds et sa veste. Elle fit un signe de la tête à Allison, et sortit sans un mot de ce bureau où il lui semblait avoir passé des jours.
Autumn n’était pas le genre de fille à se livrer facilement, elle n’aimait pas parler d’elle, de sa vie, de ses ressentis. Elle était plus que réservée sur ce sujet là, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une vie sociale épanouie, et ceux malgré son récent déménagement à Cambridge suite au mariage de son père avec sa belle-mère.
Autumn traversa la salle d’attente déserte. Elle s’arrêta devant l’ascenseur et appuya sur le bouton d’appel sans regarder la secrétaire. Elle entra dans la cabine qui venait d’ouvrir ses portes, et s’observa dans le miroir qui lui faisait face tandis que les portes se fermaient derrière elle.
Une mèche brune avait glissée de sa queue de cheval, et sa peau était plus pâle qu’à l’ordinaire, ses yeux étaient légèrement rougis. Elle avait détesté ce rendez-vous du début à la fin, et elle en détestait déjà ces conséquences. Elle haïssait devoir jouer la petite fille riche, bien que se soit une part de sa personnalité, ce n’était pas celle qu’elle préférait mettre en avant. Elle soupira et mit cette mèche derrière son oreille, elle recula d’un pas, appuya sur le bouton du rez-de-chaussée. Elle continua de s’observer dans ce miroir pendant toute la descente, elle baissa la tête vers son avant-bras gauche, et failli relever la manche de son gilet gris, mais s’en abstint à la dernière minute, ne voulant pas se confronter à une réalité qu’elle ne comprenait pas. Car, ce que n’avait sûrement pas compris cette psy, pourtant payer 300$ de l’heure, était qu’Autumn était un véritable paradoxe. Elle allait bien autant qu’elle allait mal, et les fines cicatrices lui marbrant le bras en étaient les preuves. Et pourtant Autumn était heureuse, elle vous le jurerait sur sa propre vie, et le pire était que c’était la vérité. Elle avait juste en elle ce mal qui ronge certain sans véritable raison, et sans véritable remède, juste présent au fin fond de soi à chaque instant.
Elle soupira, se regarda une dernière fois dans le miroir avant de remettre ses lunettes de soleil tandis que les portes de l’ascenseur s’ouvraient sur le hall de l’immeuble.
L’air frais lui fit du bien, elle savait d’or et déjà ce qui l’attendait. La psy enverrait sûrement un rapport à sa belle- mère où elle dévoilerait les quelques prémices qu’elle avait découvert sur Autumn, sabelle-mère en ferait en drame, et cela finirait en dispute. Puis elle appellerait père pour qu’il vienne la secourir, il ne se bougerait pas, donc elle appellerait un de ces amis pour sortir le soir même. Puis elle planifierait une sortie shopping avec sa meilleure amie, histoire de dépenser tout cet argent qui dormait paisiblement sur son compte. Quoiqu’on puisse en penser, Autumn adore sa vie, et ne la changerait pour rien au monde.
La vie est semer d’embûches, plus où moins difficile à surmonter, certaines ne peuvent pas l’être, et on doit vivre avec. C’est quelque chose que sait très bien Autumn, seulement, elle aime trop la vie pour s’en priver. Alors si vous la croiser, faites attention à vous.
***De nos jours : Bonjour Allison,
Je rentre demain à Harvard. Je sais que notre thérapie c’est terminé la semaine dernière, mais je tenais à vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi. Pour m’avoir aidé à prendre du recul par rapport à mon père, m’avoir aidé à comprendre pourquoi je me sentais parfois aussi mal. Et surtout pour m’avoir convaincu de poursuivre mon rêve. Même si aujourd’hui je sais que je ne veux pas faire carrière dans la musique et encore moins dans le mannequinat, je ne regrette pas d’être rentré un peu dans ce monde. Je sais maintenant qui je suis, et que la musique fera toujours partie intégrante de ma vie, mais en temps que passion.
Mais je souhaitai surtout vous remercier d’avoir été là quand je me sentais seule malgré la marée humaine qui m’entourait, de m’avoir permis de me trouver, et d’avoir enfin confiance en moi. Je sais que c’est votre boulot, mais ca ne change rien.
Ne vous inquiétez pas, je suis toujours la petite peste qui est rentrée dans votre bureau il y a trois ans, mais je sais être reconnaissante envers les gens qui m’ont soutenu et aidé.
Encore merci pour tout.
Autumn Warrens