Barcelone. La mer. Celle qui s'étend à perte de vue, l'horizon se profilant à une distance inconnue. Un coucher de soleil. Le dernier. Je suis né ici, j'y ai grandit. Dans une ambiance sombre et une enfance noire. Une mère artiste et un père militaire. Un père absent, violent, torturé par la guerre, par ses souvenirs ancrés dans son esprit d'homme. À chaque retour de mission, la même routine cruelle, sans bonheur. Mon père buvait jusqu'à ne plus se souvenir de son nom, mais à avoir toutes ses capacités physiques. Il débutait par frapper sa propre femme jusqu'à ce qu'elle s'enfuie dans sa chambre, désespérée, blessée et triste. Une femme morte, sans vie, qui ne vivait que pour son fils... moi. Et lorsque ma mère fuyait, je me retrouvais seule victime possible de la violence sans loi de mon père. Il me battait jusqu'à ce que je ne puisse plus crier. De nombreuses cicatrices ornent aujourd'hui mon corps. Dix-sept ans. Torturé par mon passé, blessé par la vie. Plongé dans la drogue, l'alcool et le sexe. Un avenir peu prometteur, et pourtant, ma guitare sur mon dos, mon sac de bagages en main, je me prépare à fuir mon propre pays et mon père. Et ma mère ? Morte. Il y a trois semaines. Suicidée. C'est d'ailleurs moi qui l'a retrouvée. Sans étonnement. Comment vivre une telle vie alors que tout s’effondre autour de soi ? J'aurais aimé avoir le même courage. Mais la seule tentative que j'ai faite à échouée lamentablement, me prouvant que mon triste sort se situait ici, dans ce monde cruel qui m'était offert. Cette nuit, je fuirais. Loin de la violence et de la démence de mon père. J'irai à Paris, puis en Italie. J'irai en Afrique, puis je traverserais l'océan pour aller en Amérique. Aux États-Unis. Dans les plus grandes villes. Je me plongerais dans mes dépendances tout en essayant d'oublier ce poignard enfoncé dans mon coeur et ces souvenirs d'un passé sombre. Froid, salaud, brillant, musicien et virtuose. Loin d'être comme les autres jeunes hommes de mon âge. Et selon mon parcours, dans exactement cinq ans, je me retrouverais à Cambridge, non loin de l'université de Harvard, où des études en musique m'attendraient. Un nouvel avenir, un nouveau chemin. Mais des embûches m'attendaient, et j'en étais terriblement conscient.

Sept ans plus tard.

Comme prévu, deux ans auparavant, âgé de 22 ans, je fus accepté à Harvard. J'avais voyagé partout, j'avais appris de nombreux instruments et découvert de nombreuses cultures. Deux ans que j'étudie à Harvard. Toujours plongé dans la drogue et l'alcool, je m'amuse à draguer des femmes pour les amener dans leur propre lit et fuir à l'aube. Des amitiés précieuses, j'en ai. Mais je refuse de tomber amoureux, je refuse m'abandonner à de tels sentiments. Je ne montre jamais mes sentiments, je suis presque froid parfois. Je refuse de finir comme ma mère, faible de par l'amour. Aveuglée par ses propres sentiments. Faible. Mais si je refuse autant de m'attacher, c'est certainement par peur. Enfin, c'est ce que je tente de me faire croire. J'aime les femmes, mais celles qui me sont inconnues et que je rencontre en boîte n'ont jamais mon respect. C'est comme ça, je ne peux m'en empêcher. Mais je change. De jour en jour. Cette nouvelle vie fait évoluer l'être sombre que je suis devenu. Peut-être un jour survivrais-je à cette vie. Mais mes cicatrices viendront toujours me rappeler quel terrible passé j'ai eu. Heureusement, avant de fuir Barcelone, j'avais volé tout l'argent que possédait ma famille. Riche, je le suis. Mais pas par effort et cela me dégoûte de moi-même. Mais ce n'est pas bien nouveau, voilà des années que je me dégoûte de moi-même, depuis l'enfance peut-être bien. Mon père me battait, il devait bien avoir une raison. Je ne devais être qu'un sale petit gosse qui ne respectait rien et qui méritait ces coups. Des jours, je me dis que je raconte n'importe quoi et que je n'étais qu'une victime. Et il y a ces jours où je ne peux même pas me regarder dans un miroir... À chacun sa vie, à chacun ses embûches. Mais parfois, il m'arrive de me demander ce que serait ma vie aujourd'hui si j'avais fais comme ma mère, la rejoignant dans sa lâcheté et dans son désespoir ? Ma vie ne serait plus rien. Mais mon âme elle, serait reposée, loin d'ici, loin de ce monde dénué d'émotion de pitié. Loin de ce chaos qu'est ma vie.