Je partirai, quoi qu'il en soit, ici l'espoir est à l'étroit.

Lundi matin, 7h, ça fait deux heures que je suis debout, deux heures que j'erre dans cet affreux studio que je loue depuis peu, je n'arrivais pas à dormir, et maintenant que l'heure de mon rendez-vous approche je suis épuisée, complètement éreintée. Foutue. Jamais je n'aurai cette bourse, jamais je n'atteindrai mon rêve. Quelle idée aussi, rêver, à quoi ça sert ? Fuir la réalité ? A quoi bon ? Si elle ne vous convient pas il ne tient qu'à vous de la façonner à votre façon. Faites de votre vie un rêve, mais ne faites pas de vos rêves votre vie. Easy.

J'enfile une paire d'escarpins et mon blouson en cuir, dernier vestige de mon enfance Parisienne, et je file attraper mon bus, il ne faudrait pas que je sois en retard, là c'est tous mes espoirs qui finiraient pas s'envoler. 7h50, j'arrive enfin à Harvard. Harvard. Cette université si réputée dans laquelle j'aurai peut-être la chance d'entrer si je parviens à me montrer convaincante. J'y arriverai. Mais pour l'heure, il faudrait déjà que je trouve le bureau du Doyen, sinon envolés mes espoirs, envolées mes envies, pouf, disparus. Je me précipite dans les bâtiments, essaye de comprendre les plans qui ornent les murs et cours presque en direction de mon lieu de rendez-vous. Je mise toute ma vie sur ce rendez-vous. Si j'échoue je n'aurai plus qu'à faire mes valises et à rentrer chez moi..

« Bonjour, excusez moi du retard ! » Je suis essoufflée d'avoir trop couru, je n'ai jamais été une grande sportive, mon souffle est court et je peine à freiner les battements de mon coeur. Respire Vany, ça va aller. Respire, tu peux le faire, ai confiance en toi. Je me redresse, ornant mes lèvres d'un sourire radieux, pendant les minutes qui vont suivre je serai époustouflante, ils allaient devoir me prendre, ils n'auraient pas le choix, ils ne devaient pas avoir le choix..

« Vous n'êtes pas en retard mademoiselle, à vrai dire, vous êtes pile à l'heure ! ». Soulagement. Je pénétrai alors dans le bureau, j'étais prête pour ce rendez-vous, je savais déjà que j'avais réussi les examens d'entrée, il ne me restait plus qu'à convaincre le Doyen, cela ne devrait pas être trop difficile. Quand j'étais plus jeune, mon père répétait sans cesse qu'il fallait toujours donner l'impression d'avoir confiance en soi, même si ce n'était qu'une façade. Convaincre les autres pour se convaincre soi-même, ça ne devait pas être trop difficile. J'avais déjà réussi cette mission de nombreuses fois auparavant et bien que les fois précédentes l'enjeu était bien moins important la technique restait la même n'est-ce pas ? Je m'asseyais alors que l'homme en face de moi m'invitait à le faire, je respirai un grand coup et j'étais fin prête. La prochaine heure serait déterminante.

« Bien, mademoiselle Gray, je vois dans votre dossier que vous êtes née à Paris et que vous y avez vécu jusqu'à présent, qu'est-ce qui vous amène à Harvard ? » Ça y est, ça commence, il faut que je me mette dans mon rôle, celui de l'élève studieuse et parfaite, celui qui je suis loin d'incarner en réalité. « Et bien, j'ai toujours rêvé de découvrir l'Amérique, voyager, découvrir des cultures différentes de la culture française et venir faire mes études ici me semble être un moyen assez approprié pour me donner la chance de réaliser mes rêves. » Ne pas perdre confiance, rester digne et fière. Des conseils que je me procurai à moi-même depuis près de 23 ans. Le Doyen ne se trompe pas, je suis bien née à Paris, enfin, dans la banlieue de la capitale française, mais si je suis partie, c'est avant tout pour m'éloigner de cet endroit de malheur. Aînée d'une fratrie de 6 enfants, un père en prison, et une mère sans emploi, j'ai rapidement été mise face à des responsabilités qui n'auraient pas du être les miennes.

Nourrir les petits et les parents, fournir mes salaires pour faire vivre la famille. Ça n'a pas été tous les jours très rose, au contraire même, mais je sais que la banlieue m'a fait acquérir de nombreuses valeurs et elle a aidé à forger mon caractère. Je sais que si j'étais née au sein d'une famille aisée je serai bien différente de celle que je suis aujourd'hui, peut-être que je me laisserai marcher sur les pieds selon les différentes circonstances, peut-être que je n'aurai pas le courage d'assumer mes choix, mes opinions. Mais nous savons tous qu'avez des si et des peut-être on pourrait mettre Paris en bouteille. La banlieue a fait de moi celle que je suis aujourd'hui, point. Il est inutile de polémiquer là dessus.

Et puis il y a eu ce que l'on appelle l'élément perturbateur, ce petit truc qui perturbe toutes les histoires, qui font dérailler les trains et crasher des avions. Mon plus jeune frère est décédé un jour de juin, il n'avait que 12 ans, la banlieue ce n'est pas toujours calme, pas toujours facile à vivre, au contraire. Un différent entre deux clans m'a enlevé mon frère, celui que j'avais pratiquement élevé moi-même. Il me manque. Beaucoup. Trop. Parfois, je sens sa présence, je sais qu'il est là, près de moi, et qu'il me dit de ne pas lâcher. Alors je lui réponds, je lui affirme que je ne lâcherai rien, et qu'un jour je serai heureuse. Pour lui.

Je me suis barrée il y a 2 ans, prenant mes clics et mes clacs et laissant toute ma vie derrière moi. J'ai économisé pendant des semaines, bossant ça et là pour pouvoir me nourrir et me loger décemment. Touchant de temps à autre à ces méthodes permettant de gagner de l'argent facilement. Puis je me suis envolée pour les Etats-Unis, un aller sans retour, avec pour seul et unique but, celui d'entrer à Harvard. Et voilà que j'allais y parvenir, je le sentais au plus profond de mon corps. Je reporte mon attention sur le Doyen de l'université, il est hors de question que j'échoue aujourd'hui. On ne m'a jamais dit non, on ne m'a jamais rien refusé, je n'accepterai pas que cela commence aujourd'hui. « Et bien mademoiselle Gray, si vous obtenez votre bourse, ce dont je ne doute aucunement au vu de votre dossier, nous serons ravis de vous compter parmi nos membres dès le mois de septembre. » Un sourire sincère transperce enfin mes lèvres. « Merci Monsieur. » Je me lève, ramasse mon sac, et quitte le bureau après un bref échange avec le Doyen. Ça y est, en septembre j'intégrerai Harvard. Maintenant mes priorités allaient être toutes simple. Me trouver un nouvel appartement, parce que je ne me voyais pas vivre sur le campus, et faire le plus de rencontres possible pour profiter du climat et de la vie à l'américaine. C'était là une nouvelle vie qui s'offrait à moi. Et je comptais bien en profiter au maximum.